La France noire dans le magazine AMINA (entretien réalisé par Liss KIHINDOU)

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Comment est née l’idée de cette association ?

L’idée est partie d’un travail avec une classe de 5è en 2012. Suite à la lecture de Cannibale, le désormais célèbre roman de Didier Daeninckx, j’avais réalisé avec mes élèves une exposition sur «Les expositions coloniales» en y intégrant quelques figures noires françaises célèbres. Face au franc succès de ce travail présenté lors des portes ouvertes de l’établissement, je me suis dit que l’expérience méritait d’être poursuivie.

Qu’entendez-vous par « La France noire » ?

Le nom de l’association est choisi en réponse à toutes celles et tous ceux qui pensent que la France est blanche et catholique. Non, la France n’est pas blanche ! Elle ne l’est pas, de manière officielle, depuis 1848, date de l’abolition de l’esclavage. La France a aussi participé à la colonisation de l’Afrique et a fait des Noirs ses sujets jusqu’au début des années 1960. Les nouvelles générations doivent absolument savoir ces vérités. Quant aux adultes qui ne sont pas habitués à associer le nom France au mot «noir», nous leur offrons l’occasion de prendre une nouvelle habitude conforme à la réalité. Précision non négligeable : nous avons l’agrément académique – donc l’autorisation de l’Education nationale – pour faire ce travail.

Votre action est-elle bien accueillie ? Quels sont vos partenaires ?

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, militer pour l’enseignement d’une histoire qui ressemble à la réalité de la diversité de la population française est très bien accueilli dans les établissements scolaires. L’Education nationale prône l’enseignement de la citoyenneté. Cela nous encourage à nous appuyer sur la vérité scientifique pour amener les jeunes à changer leur regard sur eux-mêmes et sur les autres, à entendre un discours différent de ceux qui se veulent officiels. Pour consolider nos bases dans le paysage national, nous avons établi un partenariat avec la mairie de Joigny (89 Yonne) pour commémorer chaque 10 mai l’abolition de l’esclavage. Par ailleurs, nous avons le soutien du Conseil départemental et du crédit Mutuel. Mais nous ne pourrons rayonner qu’en établissant des partenariats avec d’autres associations comme Afrique sur Loire, par exemple.

Vous avez réalisé des expositions remarquables, que vous proposez aux établissements scolaires. Ceux-ci vous ouvrent-ils facilement les portes ? Quelle est la réaction des élèves ?

Nos expositions ainsi que les discours qui les accompagnent sont très appréciés des élèves et des enseignants. C’est très réjouissant. Par exemple, les élèves comprennent très vite la logique de l’esclavage des Noirs dans les Amériques qui consiste à terroriser par la violence des êtres habitués à la liberté. J’aime leurs applaudissements à la fin de mes interventions… Malheureusement, les établissements scolaires ne s’ouvrent pas aussi aisément aux intervenants extérieurs. Dans le système administratif de l’Education nationale, il n’est pas évident de savoir à quelle porte frapper. A vrai dire, il faut surtout compter avec la sensibilité de la personne qui recevra l’information concernant nos expositions. Il convient aussi de retenir que dans cet univers, le bouche-à-oreille fonctionne mieux que le courrier postal ou électronique.

Vous avez à ce jour noué plusieurs contacts, notamment avec des ambassades africaines, sont-elles toutes prêtes à vous accompagner ?

D’une façon générale, les ambassades africaines refusent d’aider les associations françaises. Est-ce une question de devoir de réserve ? En tout cas, les courriers que nous avons reçus disent qu’elles ne disposent pas de budget pour aider les associations. Seuls des hommes sensibles à l’idéal de fraternité que nous prônons à travers nos expositions acceptent de nous recevoir et nous aider. C’est ce qu’ont fait les ambassadeurs du Togo et de la Guinée, chacun à sa manière.

Quelle est votre plus grande fierté et quel est votre plus grand regret, depuis que vous avez commencé cette aventure ?

C’est chaque fois une grande fierté pour moi d’entendre les élèves me poser cette question : «pourquoi ne nous enseigne-t-on pas tout ce que vous nous dites ?» C’est la preuve qu’ils ont compris que les manuels scolaires n’ont pas toujours raison. Il est important d’apprendre à douter afin de sortir de l’ombre pour aller vers la lumière. Par ailleurs, avoir exposé à l’ambassade du Togo, sans avoir aucun lien avec ce pays, a été pour moi une belle conquête. Je n’oublierai jamais cette main tendue de Son Excellence M. Calixte Madjoulba qui nous a permis de rebondir alors que les demandes d’intervention étaient rares au premier semestre 2018. Un regret – qui ne doit pas en être un puisque le fait ne dépendait pas de nous – c’est de ne pas avoir pu exposer à l’Unesco, à Paris, alors que nous étions programmés pour le 19 novembre 2018 et que l’historien Pascal Blanchard avait accepté d’être le parrain de notre association pour plaider sa cause auprès des ambassadeurs africains. Mais nous n’avons pas renoncé à ce projet.

La France noire au lycée Saint-Germain (Auxerre 89)

Du lundi 14 au vendredi 18 janvier, le lycée professionnel Saint-Germain d’Auxerre a abrité notre exposition « Les résistances africaines à la traite et les luttes des esclaves pour leur liberté dans les Amériques ». L’occasion nous a permis de rencontrer des collègues – dont Mme Serre, la professeure documentaliste –  très impliqués dans l’éducation à la citoyenneté des jeunes générations. Monsieur Cholet, le proviseur, a même tenu à nous rencontrer afin de mettre en place un partenariat avec La France noire dans le cadre de la commémoration de l’abolition de l’esclavage le 10 mai 2019.

L’article de l’Yonne Républicaine du 16/01/2019

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Lundi matin avait lieu au lycée professionnel Saint-germain l’inauguration d’une exposition pédagogique itinérante sur l’esclavage, élaborée par l’association La France noire de Joigny.

     Cette exposition retrace en une vingtaine de panneaux fort instructifs l’histoire de l’esclavage avec son cortège d’atrocités, tout en mettant en lumière les résistances africaines à la traite ainsi que les luttes des Africains pour garder ou regagner leur liberté.

     « Cet aspect des choses est généralement passé sous silence , fait remarquer Raphaël ADJOBI, président de La France noire.

     « ça m’a donné envie de faire des recherches »

      Et l’intéressé de poursuivre : « De même, il n’y a jamais eu d’esclaves à vendre en Afrique, car les négriers récompensaient tout simplement leurs rabatteurs. C’est donc par la violence et la corruption que les Noirs étaient capturés et déportés. D’ailleurs, l’expression commerce triangulaire était un euphémisme employé par les négriers pour se donner bonne conscience et faire croire que les Noirs étaient déjà des esclaves en Afrique ». Pour la documentaliste Chantal SERRE, qui a fait venir cette exposition dans l’établissement, « il est important de montrer que les Noirs étaient eux-mêmes des acteurs de leur émancipation ».

     « Cette exposition a changé ma façon de voir les choses. Elle m’a donné envie de faire des recherches sur le Net », confiait Yacine, en seconde administration.

La France noire et les « forums citoyenneté » des collèges et des lycées

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Nous avons noté que dans le cadre du parcours citoyen des élèves, les collèges et les lycées sont de plus en plus nombreux à organiser une journée ou une semaine de l’engagement citoyen – ou encore forum citoyenneté – pour faire « grandir » les futurs citoyens dont ils ont la charge.

Ferrières 3        Cette journée ou cette semaine mise à part est un principe heureux parce qu’il dispose l’esprit des enseignants et celui des élèves à profiter pleinement des occasions qui leur sont offertes à travers les différents intervenants issus d’associations ou d’institutions de l’Etat. Ainsi, à aucun moment, les uns et les autres ne montrent de l’empressement à reprendre le cours de leur pratique ordinaire. Résultat : dans chacun des établissements où nous avons été invités, nous avons beaucoup apprécié non seulement l’écoute attentive des élèves ainsi que leur intérêt pour le travail qui leur était présenté mais aussi les échanges que nous avons eus avec les enseignants. C’est pour nous une grande satisfaction d’avoir recueilli, à la fin de chaque intervention, le sentiment de chacune ou chacun de nos collègues.

Nous espérons donc recevoir davantage d’invitations dans le cadre de cette journée ou semaine de l’engagement citoyen parce que le profit est indiscutablement plus grand pour les élèves. Ce temps particulier qui demande l’engagement de tous les enseignants leur permet souvent de poursuivre, avec la classe, la discussion autour du sujet présenté par l’intervenant. Ce suivi immédiat est une excellente chose pour les élèves. Savoir prendre le temps d’apprécier ce que l’on vient de voir ou de lire est une excellente manière d’avancer dans la maîtrise des connaissances. D’ailleurs, les collègues savent très bien que les répercussions des visites pédagogiques sont plus grandes lorsque le projet est partagé ou porté par une équipe plutôt que par une seule personne que les autres suivent malgré eux.

Terminons par quelques beaux compliments entendus çà et là : « un travail très professionnel » (une professeure d’histoire du collège Pierre-Auguste Renoir de Ferrières-en-Gâtinais – 45 Loiret) ; « c’est vraiment captivant » (une collègue du collège Pierre Larousse à Toucy – 89 Yonne) ; « une belle exposition qui invite au silence… au recueillement » (Madame l’adjointe de direction du collège Paul Bert à Auxerre – 89 Yonne).

Raphaël ADJOBI

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