ZISKAKAN et le combat pour la diversité culturelle en France (Un documentaire de Sébastien Folin)

Ziskakan          En février 1979, naît ZISKAKAN (Jusqu’à quand ?) sous la forme d’une association culturelle regroupant chercheurs, historiens, poètes et musiciens ayant pour but la valorisation de la culture réunionnaise ; notamment la langue créole et le maloya, cette musique porteuse de l’histoire de l’île mais qui ne se pratiquait que dans la clandestinité. Jusqu’à quand durera l’effacement de la culture créole ? Jusqu’à quand durera l’uniformisation des esthétiques et des récits destinés aux jeunes générations ? Une lutte qui, selon le site Bretagne actuelle, rappelle « les heures sans fin de notre histoire bretonne, basque, catalane, corse, alsacienne… (Une histoire réunionnaise) oubliée, effacée et toujours ignorée dans les manuels scolaires. Nos ancêtres les Gaulois… Comme un rouleau compresseur, le roman national écrase toute idée de la différence, surtout si elle contredit deux siècles de mensonges républicains ». En cette année 2023, c’est donc de La Réunion, à l’autre bout du monde que nous vient cette autre voix qui demande à avoir droit de cité. Le documentaire que Sébastien Folin – né à Madagascar et élevé à La Réunion – consacre à ZISKAKAN nous fait « comprendre pourquoi et comment il était urgent et nécessaire de défendre cette culture créole » comme le fait cette association qui rayonne depuis 1979 par le biais de la musique.

Sébastien Folin          Selon Sébastien Folin, à La Réunion, Ziskakan, c’est l’équivalent des Rolling Stones ! Et il a voulu montrer le combat culturel du groupe en faveur du créole. Mais au-delà du groupe, « c’est un portrait impressionniste de la créolité réunionnaise » qu’il a réussi : « c’est une culture insulaire que l’on retrouve aux Seychelles, à Maurice, à la Martinique… Jusqu’en Louisiane ! Tous ces peuples se sont retrouvés dans des endroits qui n’étaient pas les leurs, oppresseurs comme opprimés. […] La Réunion, c’est une île peuplée de pirates, de malfrats, de cadets… Qui avaient subi l’oppression en Europe et qui l’ont fait subir ici. Et comme les esclaves, ils sont arrivés par bateau. Tout le monde est arrivé par la mer à La Réunion. Cette histoire là ne nous est pas racontée. Moi j’ai 53 ans, et à l’école j’ai appris que mes ancêtres étaient Gaulois. Je n’ai jamais rien appris de mes origines indiennes. […] Partout, ces multiples arrivées ont créé des cultures spontanées. Cette créolité est souvent maladroitement présentée comme le résultat d’un métissage. C’est ça bien sûr, mais c’est aussi une solitude qu’il fallait combler. C’est de l’amour, mais aussi du sang et des larmes. Pour La Réunion, on occulte souvent ces deux derniers. Car derrière ce vivre ensemble, on édulcore la dimension complexe du créole ».

Une histoire universelle :

ZISKAKAN 2          « Vous Bretons (Bretagne actuelle), vous avez mené des combats identiques. Comme nous, vous avez vécu l’effacement de l’identité. Vous vivez peut-être encore l’oppression culturelle, voire son aliénation, la fameuse assimilation qu’on associe souvent à des gens de couleur. Il était interdit de parler sa langue vernaculaire. Nos histoires ont ça en commun. […] Je suis Réunionnais et ma force c’est que les intervenants m’ont dit des choses qu’ils n’auraient jamais dites à quelqu’un qui n’était pas de là-bas. Je pense sincèrement que j’ai eu des choses… […] des choses sont arrivées spontanément comme Alain Mayendu qui parle de l’assassinat de son grand-père […] qui mettait de la poudre sur son visage pour être blanc à l’église. Ce n’aurait pas été un réunionnais derrière la caméra, on aurait peut-être pas entendu ça (dans le documentaire) […] Ziskakan n’est pas qu’une histoire locale. L’esclavage n’est pas que l’histoire de La Réunion, c’est l’histoire de France. Dans toutes les régions de France, on a vécu les mêmes choses : le déplacement des populations, l’enlèvement des enfants, etc. Après, il ne faut pas tout mettre au même niveau. La déportation de 40 millions d’Africains dans le monde, c’est unique. Mais des souffrances, il y en a eu dans toutes les régions du monde. Raconter l’histoire est donc fondamentale pour qu’on arrive tous à se retrouver autour d’une histoire commune. Sinon, on en voudra toujours à quelqu’un. Ce film s’inscrit dans cette démarche. […] Je veux que tout le monde se dise : c’est notre histoire. A l’occasion de la remise du Prix de l’Académie Charles Cros, j’échangeais avec une manageuse, elle est Irlandaise, et me l’a confirmé : c’est notre histoire ! (avaient été ses mots) »

La nécessité de découvrir la culture de l’autre :

          « Je suis militant. Tant que chacun gardera son histoire dans son coin, on ne pourra pas construire notre Nation. Être français, c’est connaître l’histoire des Bretons, des Réunionnais, des Parisiens… Et c’est aussi partager la même langue. Ce qu’on défend dans le film, c’est le créole et le français. Pas le créole partout et tout le temps. « Respectez-nous, ne nous écrasez pas » : c’est ça le combat de Ziskakan. Ce n’est pas le créole à la place du français ».

° Extraits de l’article de l’entretien accordé à Bretagne actuelle par Sébastien Folin – réalisateur du documentaire Ziskakan – 53 minutes. Première diffusion nationale : Lundi 1er mai 2023 à 23h40 sur France 3. A voir et à revoir en replay sur France TV.

° L’explication du nom de l’association qui est aussi celui du groupe musical vous est donné à la fin du film, dans une belle ambiance.

Raphaël ADJOBI (pour la mise en forme).

L’image du Noir dans l’instruction des Français au XXe siècle

Par Georges Sadoul – 1904-1967. Extrait de la traduction de Sambo without Tears” dans Nancy Cunard, Negro Anthology, 1931-1933, Londres.

L'instuction des Français Blancs          « […] Je lis en ce moment des journaux rédigés spécialement pour les enfants français : Cri-Cri, l’Épatant, Pierrot, Le Petit illustré, qu’on tire chaque semaine chacun en de milliers de centaines d’exemplaires, des journaux que pratiquement tous les enfants prolétaires, paysans, petits bourgeois, achètent chaque semaine s’ils savent lire. Ces journaux je les ai achetés au hasard dans un petit village de petits agriculteurs, dans la seule boutique du pays, et je sais qu’on les trouve de même dans tous les villages de France, dans tous les faubourgs ouvriers de France. Je n’ai pas choisi les numéros et j’ai pu me rendre compte que le Nègre – qui symbolise ici et d’ailleurs en général le peuple colonial de toute couleur – est un héros que l’on trouve dans chaque numéro des journaux d’enfants, un héros qu’on entend populariser. Voici la conception du Nègre que ces journaux veulent imposer aux enfants. Cette conception est celle que la bourgeoisie française a du Nègre.

          “A l’état sauvage, c’est-à-dire avant d’être colonisé, le Nègre est un dangereux bandit. […] Le Nègre une fois pacifié a bien ses défauts. C’est un ivrogne fini. […] Le Nègre est aussi un serviteur effroyablement paresseux. Il faut le gourmander pour en obtenir quelque chose.

          Mais il a ses qualités : le Nègre est un bouffon destiné à amuser les Blancs. C’est le fou des rois français. Et c’est sans doute parce que le Nègre est un bouffon que les seuls d’entre eux qui soient réellement toujours admis dans tous les salons français sont les grooms et les musiciens de jazz destinés à faire danser les élégants messieurs et dames. [Vous pouvez donc comprendre pourquoi les clowneries de Joséphine Baker n’ont jamais séduit les Noirs].

           Le Nègre a d’autres qualités. On peut en faire un soldat. […] On voit en lisant ces journaux d’enfants destinés à faire de leurs lecteurs de parfaits impérialistes quelle est l’idée que la bourgeoisie française entend imposer de l’homme de couleur. […] ».

Faire des jeunes lecteurs de parfaits impérialistes, peut-être ; en faire de parfaits racistes à l’égard de leurs compatriotes noirs qui se découvraient dans ces journaux, sûrement. Enseigner = montrer ! Montrer ce que l’on fabrique à partir de ses fantasmes jusqu’à ce que cela soit compris comme la vérité, même si cela n’a rien à voir avec la réalité.

Raphaël ADJOBI

Le lycée Clément Ader accueille pour la deuxième fois « La France noire » au cours de cette année scolaire 2022-2023 !

Tournan mars 2023 C          Si grâce au Pass culture les expositions pédagogiques de La France noire peuvent être accueillies partout en France, ce dispositif permet aussi aux établissements scolaires de ne pas se limiter à une seule invitation quand ils sont satisfaits d’un acteur culturel qui propose plusieurs thématiques pour l’instruction des jeunes. Ainsi, après avoir reçu « Les Noirs illustres et leur contribution à l’histoire de France » en décembre dernier, le lycée Clément Ader à Tournan-en-Brie (77 – Seine-et-Marne) vient de découvrir « Les résistances africaines à la traite et les luttes des esclaves pour leur liberté dans les Amériques ». C’est la première fois que La France noire est invitée deux fois par le même établissement au cours de la même année scolaire !

          Du lundi 27 au vendredi 31 mars 2023, les élèves et les enseignants de ce lycée de la Seine-et-Marne ont pu découvrir des aspects méconnus de l’histoire de l’esclavage des Noirs dans les Amériques et se faire une idée plus précise du combat de ces derniers contre leur asservissement. Ils ont tous compris que la maltraitance, les mutilations n’avaient pour seul objectif que de briser leur résistance ! La force de cette exposition a nourri dans l’esprit de notre collègue Thibault Noël-Artaud, professeur de philosophie et acteur des deux invitations, un nouveau projet : emmener ses élèves sur les traces de l’esclavage des Noirs à Paris ; en d’autres termes, aller découvrir les réalisations faites dans cette ville avec l’argent de la traite et de l’asservissement des Noirs dans les colonies. C’est l’antenne de l’association bordelaise Mémoires & Partage qui propose les visites « Paris négrier ».

Tournan mars 2023          Les 12 heures de conférence sur les deux journées – lundi et vendredi – ont permis à un maximum d’élèves de comprendre qu’il faut de temps en temps lever la tête des manuels scolaires pour accéder aux connaissances qui permettent de découvrir les réalités du monde. Et quand je les entends s’exclamer « Pourquoi on ne nous apprend pas tout çà ! », ma réflexion est toujours simple : «On devrait effectivement. Et c’est parce que tout cela n’est pas dans les manuels scolaires que vos enseignants me sollicitent pour vous apporter ces connaissances ». Et c’est vrai que les enseignants modestes sont toujours désireux de connaissances et soucieux de partager leurs découvertes avec leurs élèves. L’enthousiasme de nos collègues devant la qualité de notre travail fait plaisir et nous encourage à persévérer. Merci à notre collègue documentaliste qui est rapidement devenue une excellente ambassadrice des expositions de La France noire.

Tournan mars 2023 B          Je termine ce billet par un conseil aux collègues qui abandonnent définitivement l’étude des romans sur l’esclavage des Noirs avec leurs élèves parce que leur premier choix n’a pas été concluant. Quand vous ne maîtrisez pas un sujet, il n’y a aucune honte à faire appel à un collègue pour partager avec lui ses connaissances. La France noire est née pour permettre cette collaboration grâce à son savoir-faire spécifique. Pensez-y ! Ne privez pas les jeunes de connaissances en démissionnant devant les difficultés. Faites confiance à quelqu’un dont cette thématique est une passion, car, comme le dit si bien Didier Eribon « Au fond, c’est l’enthousiasme qui compte, et le désir de tout découvrir. Le contenu vient après » (Retour à Reims, Champs essais, 2018).

Raphaël ADJOBI