ZISKAKAN et le combat pour la diversité culturelle en France (Un documentaire de Sébastien Folin)

Ziskakan          En février 1979, naît ZISKAKAN (Jusqu’à quand ?) sous la forme d’une association culturelle regroupant chercheurs, historiens, poètes et musiciens ayant pour but la valorisation de la culture réunionnaise ; notamment la langue créole et le maloya, cette musique porteuse de l’histoire de l’île mais qui ne se pratiquait que dans la clandestinité. Jusqu’à quand durera l’effacement de la culture créole ? Jusqu’à quand durera l’uniformisation des esthétiques et des récits destinés aux jeunes générations ? Une lutte qui, selon le site Bretagne actuelle, rappelle « les heures sans fin de notre histoire bretonne, basque, catalane, corse, alsacienne… (Une histoire réunionnaise) oubliée, effacée et toujours ignorée dans les manuels scolaires. Nos ancêtres les Gaulois… Comme un rouleau compresseur, le roman national écrase toute idée de la différence, surtout si elle contredit deux siècles de mensonges républicains ». En cette année 2023, c’est donc de La Réunion, à l’autre bout du monde que nous vient cette autre voix qui demande à avoir droit de cité. Le documentaire que Sébastien Folin – né à Madagascar et élevé à La Réunion – consacre à ZISKAKAN nous fait « comprendre pourquoi et comment il était urgent et nécessaire de défendre cette culture créole » comme le fait cette association qui rayonne depuis 1979 par le biais de la musique.

Sébastien Folin          Selon Sébastien Folin, à La Réunion, Ziskakan, c’est l’équivalent des Rolling Stones ! Et il a voulu montrer le combat culturel du groupe en faveur du créole. Mais au-delà du groupe, « c’est un portrait impressionniste de la créolité réunionnaise » qu’il a réussi : « c’est une culture insulaire que l’on retrouve aux Seychelles, à Maurice, à la Martinique… Jusqu’en Louisiane ! Tous ces peuples se sont retrouvés dans des endroits qui n’étaient pas les leurs, oppresseurs comme opprimés. […] La Réunion, c’est une île peuplée de pirates, de malfrats, de cadets… Qui avaient subi l’oppression en Europe et qui l’ont fait subir ici. Et comme les esclaves, ils sont arrivés par bateau. Tout le monde est arrivé par la mer à La Réunion. Cette histoire là ne nous est pas racontée. Moi j’ai 53 ans, et à l’école j’ai appris que mes ancêtres étaient Gaulois. Je n’ai jamais rien appris de mes origines indiennes. […] Partout, ces multiples arrivées ont créé des cultures spontanées. Cette créolité est souvent maladroitement présentée comme le résultat d’un métissage. C’est ça bien sûr, mais c’est aussi une solitude qu’il fallait combler. C’est de l’amour, mais aussi du sang et des larmes. Pour La Réunion, on occulte souvent ces deux derniers. Car derrière ce vivre ensemble, on édulcore la dimension complexe du créole ».

Une histoire universelle :

ZISKAKAN 2          « Vous Bretons (Bretagne actuelle), vous avez mené des combats identiques. Comme nous, vous avez vécu l’effacement de l’identité. Vous vivez peut-être encore l’oppression culturelle, voire son aliénation, la fameuse assimilation qu’on associe souvent à des gens de couleur. Il était interdit de parler sa langue vernaculaire. Nos histoires ont ça en commun. […] Je suis Réunionnais et ma force c’est que les intervenants m’ont dit des choses qu’ils n’auraient jamais dites à quelqu’un qui n’était pas de là-bas. Je pense sincèrement que j’ai eu des choses… […] des choses sont arrivées spontanément comme Alain Mayendu qui parle de l’assassinat de son grand-père […] qui mettait de la poudre sur son visage pour être blanc à l’église. Ce n’aurait pas été un réunionnais derrière la caméra, on aurait peut-être pas entendu ça (dans le documentaire) […] Ziskakan n’est pas qu’une histoire locale. L’esclavage n’est pas que l’histoire de La Réunion, c’est l’histoire de France. Dans toutes les régions de France, on a vécu les mêmes choses : le déplacement des populations, l’enlèvement des enfants, etc. Après, il ne faut pas tout mettre au même niveau. La déportation de 40 millions d’Africains dans le monde, c’est unique. Mais des souffrances, il y en a eu dans toutes les régions du monde. Raconter l’histoire est donc fondamentale pour qu’on arrive tous à se retrouver autour d’une histoire commune. Sinon, on en voudra toujours à quelqu’un. Ce film s’inscrit dans cette démarche. […] Je veux que tout le monde se dise : c’est notre histoire. A l’occasion de la remise du Prix de l’Académie Charles Cros, j’échangeais avec une manageuse, elle est Irlandaise, et me l’a confirmé : c’est notre histoire ! (avaient été ses mots) »

La nécessité de découvrir la culture de l’autre :

          « Je suis militant. Tant que chacun gardera son histoire dans son coin, on ne pourra pas construire notre Nation. Être français, c’est connaître l’histoire des Bretons, des Réunionnais, des Parisiens… Et c’est aussi partager la même langue. Ce qu’on défend dans le film, c’est le créole et le français. Pas le créole partout et tout le temps. « Respectez-nous, ne nous écrasez pas » : c’est ça le combat de Ziskakan. Ce n’est pas le créole à la place du français ».

° Extraits de l’article de l’entretien accordé à Bretagne actuelle par Sébastien Folin – réalisateur du documentaire Ziskakan – 53 minutes. Première diffusion nationale : Lundi 1er mai 2023 à 23h40 sur France 3. A voir et à revoir en replay sur France TV.

° L’explication du nom de l’association qui est aussi celui du groupe musical vous est donné à la fin du film, dans une belle ambiance.

Raphaël ADJOBI (pour la mise en forme).

L’image du Noir dans l’instruction des Français au XXe siècle

Par Georges Sadoul – 1904-1967. Extrait de la traduction de Sambo without Tears” dans Nancy Cunard, Negro Anthology, 1931-1933, Londres.

L'instuction des Français Blancs          « […] Je lis en ce moment des journaux rédigés spécialement pour les enfants français : Cri-Cri, l’Épatant, Pierrot, Le Petit illustré, qu’on tire chaque semaine chacun en de milliers de centaines d’exemplaires, des journaux que pratiquement tous les enfants prolétaires, paysans, petits bourgeois, achètent chaque semaine s’ils savent lire. Ces journaux je les ai achetés au hasard dans un petit village de petits agriculteurs, dans la seule boutique du pays, et je sais qu’on les trouve de même dans tous les villages de France, dans tous les faubourgs ouvriers de France. Je n’ai pas choisi les numéros et j’ai pu me rendre compte que le Nègre – qui symbolise ici et d’ailleurs en général le peuple colonial de toute couleur – est un héros que l’on trouve dans chaque numéro des journaux d’enfants, un héros qu’on entend populariser. Voici la conception du Nègre que ces journaux veulent imposer aux enfants. Cette conception est celle que la bourgeoisie française a du Nègre.

          “A l’état sauvage, c’est-à-dire avant d’être colonisé, le Nègre est un dangereux bandit. […] Le Nègre une fois pacifié a bien ses défauts. C’est un ivrogne fini. […] Le Nègre est aussi un serviteur effroyablement paresseux. Il faut le gourmander pour en obtenir quelque chose.

          Mais il a ses qualités : le Nègre est un bouffon destiné à amuser les Blancs. C’est le fou des rois français. Et c’est sans doute parce que le Nègre est un bouffon que les seuls d’entre eux qui soient réellement toujours admis dans tous les salons français sont les grooms et les musiciens de jazz destinés à faire danser les élégants messieurs et dames. [Vous pouvez donc comprendre pourquoi les clowneries de Joséphine Baker n’ont jamais séduit les Noirs].

           Le Nègre a d’autres qualités. On peut en faire un soldat. […] On voit en lisant ces journaux d’enfants destinés à faire de leurs lecteurs de parfaits impérialistes quelle est l’idée que la bourgeoisie française entend imposer de l’homme de couleur. […] ».

Faire des jeunes lecteurs de parfaits impérialistes, peut-être ; en faire de parfaits racistes à l’égard de leurs compatriotes noirs qui se découvraient dans ces journaux, sûrement. Enseigner = montrer ! Montrer ce que l’on fabrique à partir de ses fantasmes jusqu’à ce que cela soit compris comme la vérité, même si cela n’a rien à voir avec la réalité.

Raphaël ADJOBI

Les malheurs des filles de Thomas Jefferson (3e président des E.U)

Thomas Jefferson          Dans son édition de mars 1971, la revue Connaissance des arts avait publié un article sur la belle maison du troisième président des États-Unis, Thomas Jefferson, construite à Monticello, en Virginie, à 120 km de Washington. Une lectrice saisit alors l’occasion et envoya à la revue l’extrait suivant de «La République américaine» du R.P. Bruckberger (Paris 1958, p. 84-86) et permit ainsi au public de découvrir, dans le numéro suivant, une image singulière de la vie de cet homme d’État – même s’il s’agit en réalité de celle de ses descendantes.

          « Avec un sens extraordinaire des lois de la tragédie, la vie se charge parfois de donner une conclusion exemplaire à une destinée exemplaire. On sait ce qu’il advint de Saint-Just. Il monta lui-même sur l’échafaud où il avait d’abord envoyé Danton : la République de Sparte rejoignait dans le panier à son la République de Cocagne.

          Quant à Jefferson, l’épilogue tragique digne du Shakespeare le plus terrifiant, ne devait survenir qu’après sa mort. Je cite ici sans changer ou omettre un seul mot, un homme dont l’information, l’autorité et la conscience sont irrécusables. Il s’agit d’Alexandre Ross, canadien de nationalité et qui occupa des charges importantes dans son pays, et fut en plus l’ami personnel et homme de confiance d’Abraham Lincoln. Il écrit dans ses mémoires :Thomas Jefferson, l’auteur de la Déclaration d’indépendance, par une clause de son testament conféra la liberté à ses enfants naturels nés esclaves. Il le fit dans la mesure où le code d’esclavage de Virginie le lui permettait, suppléant au pouvoir qui lui manquait par une humble requête à la législature de Virginie de confirmer ses dispositions testamentaires et de donner à ces esclaves la permission de demeurer dans l’État où ils avaient leur parenté. Deux de ses filles, qu’il avait eues d’une de ses esclaves octavonnes, furent, après la mort de Jefferson, emmenées de Virginie à la Nouvelle-Orléans où elles furent vendues au marché d’esclaves pour 1500 dollars chacune et utilisées à des fins qu’on ne peut décemment rapporter. Ces deux malheureux enfants de l’auteur de la Déclaration d’indépendance étaient très blanches, leurs yeux étaient bleus et leurs chevelures longues et soyeuses étaient blondes. Toutes deux avaient une grande instruction et une parfaite éducation. La plus jeune des deux sœurs, s’enfuit de chez son maître et se suicida par noyade pour échapper aux horreurs de sa condition. Ce n’est pas sans une immense tristesse qu’on rencontre un tel fait dans l’histoire d’une nation…. Jefferson avait raison. On n’en a jamais fini de conquérir la liberté. La République selon son cœur serait une révolution permanente ».

 Deux remarques s’imposent :

1 – Afin de bien comprendre la volonté de l’auteur de souligner l’ampleur du racisme dans le coeur de certains Blancs, il est nécessaire de s’arrêter au sens du mot « Octavon ». Voici la définition des dictionnaires (ici le Larousse) : Personne issue de parents dont l’un est quarteron et l’autre un Blanc. Notez bien la distinction « quarteron » et « Blanc ». Qu’est-ce qu’un « Quarteron » ? Réponse : « Fils ou fille d’un Blanc et d’une mulâtresse (métisse) ou d’une Blanche et d’un mulâtre (métis) » (Le Robert). Dire qu’un métis n’est pas un Blanc, tout le monde comprend. Mais en distinguant « quarteron » et « Blanc », comme le font les dictionnaires, on arrive à la conclusion que le célèbre écrivain Alexandre Dumas et mes petits-enfants qui sont quarterons (un de leurs parents est métis) ne sont pas des Blancs.

En clair, un « octavon » (un des parents est quarteron) est une personne à la peau blanche née de deux parents à la peau blanche – comme les enfants de l’écrivain Alexandre Dumas ; mais on garde en mémoire que l’un des grand-parents est métis. En d’autres termes, vous êtes blanc de peau parce que vos deux parents sont blancs de peau, mais vous n’êtes pas Blanc parce que vous êtes un « octavon ». Selon les dictionnaires, si vous vous mariez, on dira que vous êtes marié avec une Blanche ; vous aurez alors compris par cette simple mention que vous n’êtes pas un Blanc, malgré votre peau blanche. A l’époque de Thomas Jefferson, vos enfants pouvaient être vendus ; car vous êtes un « esclave octavon ». Les petits-enfants du célèbre écrivain Alexandre Dumas pouvaient être vendus comme les filles de Thomas Jefferson ! Tous les Noirs français qui ont des arrière-petits-enfants octavons ne peuvent que trembler en lisant ce texte. Qu’ils retiennent avec Thomas Jefferson que la République doit être une révolution permanente pour que le racisme ne les rattrape pas.

Cheveux blonds 12 – Il est toujours plaisant d’entendre ou de lire les Blancs qui, tout en soulignant la blancheur de la peau de certaines personnes, y associent avec un grand soin les yeux bleus ainsi la chevelure blonde comme les marques suprêmes de la blanchité ou de la « race » blanche. C’est exactement ce préjugé qu’exprime l’auteur du texte en écrivant « Ces deux malheureux enfants […] étaient très blanches, leurs yeux étaient bleus et leurs chevelures longues et soyeuses étaient blondes ». Et pourtant, une chevelure blonde et des yeux bleues n’ont jamais été des marques exclusives et donc distinctives des Européens blancs !

Yeux bleus 4

Trois femmes aux yeux bleusRaphaël ADJOBI

Jocelyne Béroard et l’amère patrie

Jocelyne BéroardLa chanteuse et parolière martiniquaise du célèbre groupe Kassav dit comment la France fabrique des frustrés qui sont obligés de chercher ailleurs leur inspiration pour respirer. Son récit confirme le fait que la France de la laïcité prône la cécité sur la diversité pour ne voir qu’une population incolore, inodore, agréable à voir ! Alors, dit la Martiniquaise, « j’ai commencé à aimer mes cheveux crépus à l’adolescence, grâce aux écrits des Black Panthers et aux artistes afro-américains de Stax et Motown. […] Avec le mouvement « Black and proud », je me suis sentie revivre et j’ai adopté la coupe afro ».

Extrait des propos recueillis par Anne Berthod – Télérama du 20 au 26 août 2022

° Amère patrie : « Clairement, le Zouk n’a pas été reconnu à sa juste valeur par les médias français ; en 1985, aucune télé n’a parlé de notre premier Zénith, à part une émission de foot où nous avions un copain. Idem pour les producteurs, qui ne se sont intéressés à nous que parce que nous avions du succès en Afrique. Certains nous avaient même suggéré au début d’abandonner le créole pour chanter en français ; Or, notre public a toujours été très mélangé. C’est dommage que la France ne mette pas mieux en avant sa diversité. On nous répète sans cesse : « vous êtes la France ». Or, nous sommes à 8000 kilomètres et notre histoire est différente. Les Antilles ont tout appris de la France, mais la France n’a rien compris aux gens de là-bas. Heureusement dans le groupe, nous n’avons jamais laissé l’amertume nous dominer. C’est la force de Kassav et de sa musique. Antidote aux idées négatives. […] Quarante ans plus tard, les Antillais restent fiers d’avoir eu un groupe qui les représente sans édulcorer leur culture ».

° Esclavage (enfouissement de la mémoire de l’esclavage) : « Il n’y a pas eu d’esclaves chez les Béroard, répétait mon père. Évidemment, c’est plus compliqué. Mon père descendait d’un Béroard blanc, mais la couleur de sa peau prouve qu’il avait aussi des aïeux d’origine africaine. Seulement, comme de nombreux Antillais, il n’avait pas envie de faire son arbre généalogique. Personne n’a envie d’être descendant d’esclaves, parce que c’est une douleur, un souvenir horrible, au point que les anciens esclaves ont préféré l’oubli. Ils sont devenus libres en silence, pour ne pas risquer de raviver le passé*. Le traumatisme de la longue traversée en fond de cale dans des conditions épouvantables, l’anéantissement de leur humanité, le rabaissement constant des femmes noires et des hommes noirs, qui voyaient leur compagne accoucher d’enfants métis… tout cela a laissé des traces indélébiles. De tout cela, mes parents ne disaient rien. La notion même de race était chez nous un non-dit ».

* Malheureusement, on ne devient jamais libre en silence ; on a jamais élevé au rang de héros de la liberté des gens qui sont demeurés dans le silence.

Jocelyne Béroard 2° Beauté noire : « À 20 ans, je suis partie à Caen pour faire des études de pharmacie. À mon arrivée en France, j’ai été choquée de lire des articles sur « la beauté noire », comme si c’était quelque chose d’exceptionnel ! Imaginez un article sur la « beauté blanche »…. J’ai moi-même pris tardivement conscience de ce que représentait ma peau noire. Mes parents ne m’ont pas éduquée avec cette notion de différence. Dans mon école de bonnes sœurs, fréquentée essentiellement par les descendants des anciens maîtres, on disait que la maîtresse faisait des préférences : la question du racisme, pourtant bien réel, ne se posait pas. Nos standards de beauté étaient définis par nos Barbie d’importation et nos poupées Bella blondes aux yeux bleues. Moi-même je passais des heures tous les matins à démêler mes cheveux ».

° Bonnes manières et pas de langue créole ! : « J’ai reçu, avec mes cinq frères et sœurs, ce qu’on appelle une éducation bourgeoise. Cela signifiait, dans une société antillaise encore marquée par l’esclavage et l’image de sauvage qu’avait l’Africain, se comporterconvenablement, apprendre les bonnes manières pour obtenir le respect. Parce que si vous étiez malpoli, les portes se refermaient*. Pour ma mère, professeur d’anglais, et pour mon père, chirurgien dentiste, cette éducation à la française était la clef de la réussite. […]… pas une carrière d’artiste ou de chanteuse. […] A l’école, j’apprenais que mes ancêtres les Gaulois vivaient de la pêche et de la cueillette. A la maison, nous parlions uniquement le français […] Le créole était la langue de la rue. C’était la langue du juron, une langue puissante dont les mots, surtout négatifs, prenaient tout de suite un sens plus fort. Quand les insultes fusaient en français, pour viser comme d’habitude les mères et les putains, personnes ne s’en émouvait, alors qu’en créole, cela pouvait finir en combat. […] Nous avions interdiction de le parler, mais nous pouvions le chanter dans certaines circonstances – parce que c’était aussi la langue des chanté Nwel (chants de Noël), des chansons de carnaval… En outre, ma mère ne pouvait s’empêcher de me rapporter certaines phrases en créole, pour m’en montrer toutes les saveurs. En me faisant découvrir sa beauté, elle m’a, en sourdine, donné l’amour de cette langue».

* En d’autres termes, ce sont les Français blancs qui jugent si vous êtes malpoli ou pas et qui vous ouvrent ou vous ferment les portes !

° Culture noire : « J’ai commencé à prendre conscience de ce qui constituait ma culture noire en lisant un texte du percussionniste Henri Guédon ; ce musicien antillais à l’éducation bourgeoise, comme la mienne, y parlait des musiques au tambour, que l’on n’écoutait jamais à la maison, mais qui me faisait vibrer. […] A Caen, dans la diaspora, j’ai enfin eu accès au reste du monde. Parmi mes amis antillais, Lionel, Guadeloupéen, avait beaucoup lu, notamment sur l’histoire des indépendances africaines. Il m’a fait découvrir tout un pan de ma culture ».

Propos recueillis par Anne Berthod ; la première photo est de Cyrille Choupas pour Télérama

Contre le racisme et le sexisme, « il faut forcer le changement » (Témoignage d’Audrey-Flore Ngomsik)

Physique et diversitéAudrey-Flore Ngomsik est docteure en chimie physique et chimie analytique de l’université Pierre et Marie Curie à Paris. Installée depuis peu en Belgique, elle est cofondatrice de « Trianon sientific communication » avec le Dr Markus Fanselow. Après un parcours universitaire sans avoir eu de modèle, elle milite pour plus de diversité là où les décisions se prennent (reproduction d’une vidéo publiée sur sa page facebook).

Pourquoi le choix des sciences : Je ne viens pas d’une famille de scientifiques ; mais j’ai toujours adoré les sciences. Pour comprendre un liquide transparent comme l’eau contenue dans une bouteille, il faut être chimiste pour savoir qu’il y a de l’oxygène et de l’hydrogène dedans. Il faut aussi être physicien parce qu’on se dit que l’eau est liquide donc il fait chaud dans la salle. Il faut aussi être biologiste, parce que comme l’eau est claire, on se dit qu’elle ne doit pas contenir trop de micro-organismes : donc on peut la boire. Conclusion : pour comprendre l’eau, il faut les trois connaissances ou sciences. Je voulais faire les sciences parce que la physico-chimie est une bonne façon de comprendre le monde. C’est aussi un bon exemple pour comprendre la diversité. Cela nous apprend que pour comprendre un problème, il faut plusieurs points de vue !

Les femmes et les sciences : il y a 20 ans, il y avait deux types de femmes : celles qui faisaient de la science parce qu’elles savaient qu’elles en feraient leur métier, et celles qui faisaient de la science parce que cela leur permettrait de faire un bon mariage ; cela faisait bien en société. J’étais dans une école d’ingénieurs à Paris où la moitié des femmes de ma classe étaient là parce qu’elles savaient qu’elles allaient épouser quelqu’un d’important et qu’il fallait avoir de la conversation. Aujourd’hui, cela paraît délirant ; mais à l’époque, c’était la moyenne (la norme) !

En STEM*, les femmes sont nombreuses au début ; et plus on avance, moins elles sont nombreuses. Et cela parce qu’il y a déjà l’idée que « les sciences, ce n’est pas pour les filles ». Et même quand on est d’une famille progressiste, ce poids ne permet pas à une petite fille de dire « je veux faire des sciences ». A part si on est comme moi et qu’on veut faire un métier de garçon ! Pourquoi un boulot de garçon ? C’est parce que c’est dans la littérature, c’est partout ! Pour moi, la représentation est hyper importante ! A toutes les échelles de la société, la représentation est importante parce que sinon, quand on est jeune et que l’on ne voit personne qui vous ressemble plus haut, on ne peut pas savoir que c’est possible d’atteindre ce niveau.

Par exemple : moi, je n’ai jamais eu un prof noir ; je n’ai jamais eu un prof femme et noire. Je ne parle même pas d’étudiant en thèse quand on est en première année et qu’on a besoin d’aide. Je n’ai jamais eu cela ! Si j’avais eu une femme aussi racisée comme moi à un plus haut niveau, il y a des moments où j’aurais été contente de savoir que je n’étais pas la seule.

Le racisme : J’ai réalisé le racisme assez tard. A l’université, je vais m’inscrire et là j’entends : « Mais rentrez dans votre pays ! Je ne vous inscris pas ! Que faites-vous là ? » J’ai dû aller voir le directeur de l’université qui m’a inscrite en me disant : « je suis vraiment désolé »…. J’ai passé mon année derrière un poteau pour que le mec ne me voie pas. C’est comme ça que j’ai réalisé le racisme. Frontalement ! Mais moi, j’ai de la chance… j’ai une grande bouche ! Mais (ce n’est pas évident car) il y a ceux qui vont te dire « ce serait bien que tu débarrasses la table quand on a fini de manger, comme ça les autres ils savent que tu sais où est ta place ». N’est-elle pas fantastique celle-là ? Je me rappellerai toujours de mon premier stage dans une institution connue… je sors du laboratoire avec des collègues et on va à la cantine. Je suis la première à m’installer à une table. J’avais la blouse blanche du laboratoire. Quelqu’un passe et dit : « les femmes de ménage, ce n’est pas là ! » Pas mal celle-là non plus !

Précautions à prendre pour gravir les échelons : Quand j’ai commencé à travailler en stratégie et à gravir les échelons, j’ai eu deux problèmes. Il me fallait cocher deux cases : « femme et Noire » ! C’est dire que c’est un niveau où on ne s’attend pas à voir une femme, et de surcroît une femme noire ! Quand j’ai fait ma thèse (en France) et que j’ai commencé à chercher du travail (en France), je m’y suis pris à 5 reprises. Au téléphone, ça se passe bien ; mais à chaque fois que je suis allée voir les gens (je ne mettais pas ma photo sur mon CV), on me ferme la porte au nez ; ou alors on me dit « Ah non mais ça ne s’entendait pas que vous êtes noire » !

Conclusion : 1) Si vous êtes une femme et que vous voulez vous lancer, faites les études de STEM que vous voulez ! Que ce soit astrophysique ou biologie, il faut y aller. On n’est pas plus bêtes que les autres. En fait on a les meilleures notes. C’est juste qu’après, on nous laisse tomber. 2) Ensuite il faut chercher – si dans votre université ou votre entourage il n’y a personne qui peut vous « mentorer » – vous prenez LINKEDIN* et vous y cherchez quelqu’un et vous lui envoyez un message. Il y a là très peu de personnes qui disent non ! 3) Si vous êtes noir(e), vous faites comme moi : j’ai fait d’un homme blanc mon partenaire parce que ça aide ! On peut dire ce qu’on veut mais c’est la réalité. Au début, c’est lui qu’on envoyait. Pour trouver des fonds, on en est encore là aujourd’hui. Les femmes sont celles qui ont le moins de fonds VICI dans le monde ; les femmes intersectionnelles, c’est encore pire. Donc établissez un partenariat qui vous aidera. C’est stratégique, mais c’est comme çà ! En France, il y a des femmes qui ont mis des noms d’homme sur leur CV pour « forcer » la main aux employeurs. Par exemple, à la place de Stéphanie, elles mettaient Stéphane, comme ça, ça passe comme une lettre à la poste ! Il faut forcer le changement en fait.

* STEM : abréviation des termes anglais « Science, technology, engineering et Mathematics ».

* LINKEDIN : réseau social professionnel en ligne.