Black Far West : une contre-histoire de l’Ouest américain

Cow-boys          Tous ceux qui ont vu l’intégralité du documentaire Black Far West, le samedi 15 octobre 2022 sur la chaîne Arte, ont pu entendre l’un des derniers intervenants – un Blanc – dire de manière claire et nette que « chaque génération doit réécrire son histoire. L’histoire ne change pas ; mais notre perception de l’histoire change. Ce que nous choisissons d’inclure ou d’exclure diffère de génération en génération ». Et un autre intervenant, un Noir, a ajouté : « Nous voulons tous la vérité ; mais peu de gens veulent entendre la vérité. Beaucoup de gens ne veulent entendre que ce qui les met à l’aise. Ainsi, mettent-ils de côté les choses qui les mettent mal à l’aise. On aime que les gens nous disent qu’on a raison. On n’aime pas que l’on nous dise qu’on a tort ».

          Nous pourrions arrêter là l’analyse du documentaire et dire qu’il appartient à chacun d’interroger sa conscience par rapport à ce qu’il entend régulièrement raconter autour de lui ou dans les manuels scolaires concernant l’histoire de son pays. Oui, chacun peut continuer à vivre avec ce qu’il retient ou pas comme leçon du documentaire. Cependant notre but étant d’instruire la jeunesse qui n’est nullement responsable de ce que ses aïeux ont fait, nous tenons tout de même à ce qu’elle sache que la jouissance insolente ou la perpétuation sans vergogne de certains héritages la rendrait complice du crime ou du mensonge qui leur est attaché. Notre ferme intention est donc de préserver cette jeunesse d’un récit erroné qu’elle pourrait véhiculer sans scrupule pour nourrir plus tard des discours politiques méprisants clamant que certains parmi nous n’ont pas d’histoire. Oui, celui qui affirme que l’Autre n’a pas d’histoire n’a pas d’estime pour lui. Et pendant trop longtemps, c’est ce que les États-Unis d’Amériques – et d’autres pays aussi – ont raconté à leurs citoyens et au monde entier.

Le cavalier solitaire          Il apparaît clairement dans Black Far West que les héros blancs popularisés par le cinéma et qui constituent la culture des parents des jeunes collégiens, lycéens, et étudiants d’aujourd’hui étaient en fait des Noirs qui se sont illustrés dans les Amériques. C’est donc toute une narration de plus d’un siècle, tout un imaginaire construit sur le mensonge qui s’écroule pour les plus de 50 ans. Ce documentaire est l’histoire de l’Amérique dans laquelle Blancs, Noirs et autochtones dit Amérindiens occupent pleinement leur place ; alors que jusque-là les Blancs (visages pâles) occupaient toutes la place face aux Amérindiens (peau rouge) considérés comme des sauvages, le mal dont il fallait triompher. Le chaînon oublié dans le récit de la conquête de l’Ouest américain était donc le Noir. Et c’est sur leur contribution à l’histoire des État-Unis d’Amérique que ce documentaire met l’accent.

Le mythe des héros blancs de la conquête de l’Ouest

Cow-boy James Bakeworth          Quelle désillusion pour les adultes de plus de 40 ou 50 ans de découvrir que l’histoire de Davy Crockett qui a bercé leurs années télé en noir et blanc n’est rien d’autre que celle du métis Américain James Bakeworth (1798 – 1866) qui avait trouvé refuge chez les Amérindiens et combattu à leurs côtés avant de servir dans l’armée fédérale contre eux. Ses prouesses racontées dans son autobiographie parue en 1854 n’ont pas été jugées dignes d’entrer dans l’histoire. La vie de Davy Crockett, nourrie sans doute de celle de J. Bakeworth, si. En effet, au début du cinéma jusqu’à la fin du XXe siècle, pour être un héros, il fallait être blanc. Quelle désillusion d’apprendre que le héros blanc du film Le Justicier du Far West, ressemblant beaucoup à Zoro, n’est en fait que le blanchiment de l’histoire du plus grand Sheriff (adjoint) du Far West américain qui est un Noir. Il avait un cheval blanc et se déguisait souvent en cow-boy (métier méprisé exercé majoritairement au départ par des Noirs) pour approcher les criminels qu’il voulait arrêter. Les prouesses de Bass Reeves – car c’est de lui qu’il s’agit – ont inspiré des films comme Le shérif est en prison (une parodie du Far West) ou encore The Lone Ranger (de Gore Verbinski) – le cavalier solitaire qui va inspirer bien de mythes jusqu’aux récits des bandes dessinées. Quelle désillusion de découvrir que le métier de cow-boy, idéalisé et popularisé par le cinéma, est né avec les esclaves noirs qui s’occupaient des troupeaux. On les appelait « garçon » (boy) pour ne pas avoir à les appeler par leur nom !

Cow-boy - Mary Fields          Quant au récit de la fameuse conquête de l’Ouest qui a laissé croire au monde entier que les Européens ont dû déployer des prouesses pour venir à bout d’un univers sauvage, le documentaire dit clairement que c’est là encore un mythe monté de toutes pièces et popularisé par les films hollywoodiens. La réalité est que les Noirs – les Buffalo Soldiers (honorés par Bob Marley dans une de ses chansons) – ont servi de bras armé au gouvernement fédéral pour arracher aux Amérindiens leurs terres et les donner aux Blancs. A partir d’avril 1889, ceux-ci n’ont eu qu’à se ruer sur le butin pour devenir propriétaires ; et cela dans une mise en scène théâtrale ! Voilà donc pulvérisé le mythe de la conquête de l’Ouest par les Blancs !

          N’est-ce pas vrai que la vérité finit toujours par triompher ? Terminons donc avec cette réflexion de David Grann tirée de son livre La note américaine : « L’histoire est un juge impitoyable. Elle expose au grand jour nos erreurs les plus tragiques, nos imprudences et nos secrets les plus intimes ; elle jouit de son recul sur les événements avec l’arrogance d’un détective qui détiendrait la clef du mystère depuis le début ».

Raphaël ADJOBI

* Toutes les images sont de la revue Télérama

Le collège Saint-Michel à Reims (51) a accueilli notre exposition sur l’esclavage

Reims oct. 2022          Le collège Saint-Michel à Reims est le premier établissement scolaire de la Marne a accueillir une exposition de La France noire. C’est dans un grand CDI, lumineux, en forme de V – créant pour ainsi dire deux départements – que Madame Bindi, la professeure documentaliste, a accueilli notre exposition Les résistances africaines à la traite et les luttes des esclaves pour leur libertés dans les Amériques, pour le grand plaisir des classes de quatrième.

Reims 2          En prolongement de leur cours sur l’esclavage, les élèves ont été très surpris de découvrir des images et des faits qu’ils n’avaient jamais imaginés. Leur attention était donc grande face au récit du conférencier. « L’histoire, vous la racontez, et cela ne peut que les captiver ! » a dit la professeure documentaliste satisfaite de l’écoute attentive des élèves. Effectivement, le conférencier ne fait pas un énième cours d’histoire ; il raconte l’histoire de la traite et de l’esclavage pour faire émerger des figures humaines éprises de liberté, faisant ressortir davantage la violence des méthodes mises en place pour briser cette soif de liberté. Merci Madame Bindi d’avoir vu juste.

Reims Mme Bindi texte          Pendant une semaine – du lundi 10 au vendredi 14 octobre – élèves et enseignants ont visité librement l’exposition. Celle-ci a même servi de support à un travail proposé par la professeure documentaliste aux élèves d’un autre niveau que la quatrième. Soucieuse de toujours proposer aux enseignants et aux élèves des connaissances nouvelles, Madame Bindi a déjà un projet pour l’année prochaine : accueillir notre exposition sur le racisme.

Raphaël ADJOBI

Marronnage : l’art de briser ses chaînes

Marronnage tableaux double          Durant tout l’été 2022, jusqu’au 24 septembre, La Maison de l’Amérique latine – 217, boulevard Saint-Germain (Paris 7e) – a abrité une exposition sur l’art produit par les Africains déportés dans les Amériques et qui ont réussi à fuir le travail forcé imposé par les esclavagistes du Suriname et de la Guyane française pour constituer des villages dans la forêt amazonienne.

Marronnage peignes série          «Ils ont réinventé leur liberté, et même tenté de renverser l’ordre colonial. Entre le milieu du XVIIe siècle et la fin du XVIIIe siècle, six communautés se sont ainsi successivement fondées par marronnage : Saamaka, Dyuka, Paamaka, Boni/Aluku, Matawaï et Kwinti. Engagés dans des combats contre l’armée hollandaise, ces peuples ont su dès 1760 imposer des traités pour faire reconnaître leur souveraineté» disait le texte présentant l’exposition qui laisse clairement comprendre que les héros noirs pour la liberté ne sont pas seulement Haïtiens mais de tous les coins et recoins des Amériques. Le marronnage est en effet inhérent à toutes les sociétés qui furent soumises à la traite négrière et à l’esclavage. L’aire de son développement inclut donc toute la Caraïbe* et quasiment toute l’Amérique du sud où l’on célèbre aujourd’hui les anciens quilombos du Brésil et les palenques de l’Amérique dite hispanophone ; des termes qui renvoient à des villages d’Africains libres. On trouve aussi des traces du marronnage en Amérique du nord, aux États-Unis évidemment. Et concernant les marrons du Suriname et de la Guyane française, le texte ajoute : «La paix revenue, un siècle plus tard, avec le plaisir de créer, naît sous leurs doigts l’amour du beau, de la grâce».

Marronnage La chaise-fauteuil          En effet, cette belle exposition montrait ces deux pans de l’histoire de ces Africains marrons, c’est-à-dire qui ont réussi à fuir la servitude à laquelle ils étaient destinés. La première partie était faite d’images de la vie quotidienne (vie d’esclave ou de captif et vie de marron) accompagnées de textes explicatifs suffisamment courts pour ne pas rendre la visite fastidieuse. La deuxième partie – qui était clairement l’objectif principal de l’exposition – présentait des objets de la vie ordinaire de ces Africains des Amériques ainsi que des œuvres qu’ils ont créées pour le plaisir ou alliant plaisir et utilité : les peignes qui se déclinent en une multitude de formes témoignent de cette dernière volonté. Et outre les tambours, on trouve dans ces objets l’awalé – un jeu très répandu chez les peuples Akan du Golfe de Guinée – la chaise-fauteuil (en deux éléments détachables), et le tabouret Akan qui rappelle celui de l’Ancienne Égypte.

Tembé Loli          Mais ce qui retient de manière particulière l’attention du visiteur, ce sont les œuvres que tout le monde s’accorderait à qualifier d’artistiques parce que considérées comme le fruit de la seule imagination de l’artiste créateur. Elles impressionnent et séduisent par leurs lignes sinueuses et leurs couleurs souvent vives. Cependant, comme l’écrit Christiane Taubira dans l’introduction du catalogue de l’exposition, « Sait-on comment nommer un ouvrage ou une œuvre à forte charge culturelle que l’on observe ou que l’on admire, s’agit-il d’art, d’artisanat, voire d’artisanat artistique ? ». Et pour que l’on comprenne bien le fond de sa pensée justifiant cette question, elle ajoute plus loin : « Les sociétés opprimées intégraient dans leurs récits et leurs préceptes la présence de leurs observateurs, de leurs oppresseurs ». Retenons donc que toutes ces œuvres chatoyantes à forte charge culturelle ne sont certainement pas innocentes, même si elles semblent s’éloigner clairement de leurs origines africaines. L’oppression et la lutte laissent des traces ! D’autre part, quand on observe ces œuvres, on ne peut exclure l’influence amérindienne. Nous sommes donc d’accord avec Christiane Taubira lorsqu’elle dit : «On ne peut ignorer que tous les territoires de traite et d’esclavage, dans les Amériques et les Caraïbes, étaient peuplés d’Amérindiens à l’arrivée des Européens, navigateurs ou colons. Par conséquent, le marronnage, également pratiqué par les Amérindiens, a donné lieu à des alliances…. [et] a ainsi brassé les cultures, les savoirs, les langues, permis le partage de techniques de chasse, de pêche, d’agriculture, la circulation de connaissances en pharmacopée, et bien entendu sur les matériaux utiles à l’artisanat» et…. aux productions dites artistiques.

Raphaël ADJOBI

* Caraïbe : le terme désignait à l’origine la population autochtone – décimée par les Européens – qui occupait les îles situées entre les actuelles Amérique du nord et Amérique du sud. La Caraïbe (ou les Caraïbes) renvoie donc aux îles de l’océan Atlantique et du pourtour du continent américain appelé Amérique centrale.