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DISCOURS DU PRESIDENT DE « LA FRANCE NOIRE » – Commémoration de l’abolition de l’esclavage mai 2023

DiscoursMadame et Monsieur les Conseillers départementaux : Mme Frédérique Colas / M. Philippe Burier

Monsieur le maire honoraire de la ville de Joigny : M. Bernard Moraine,

« La France noire » se réjouit de votre fidélité à cette cérémonie nationale qui est l’une des rares occasions d’évoquer un pan de notre histoire commune ayant contribué à forger la diversité nationale.

Monsieur le maire,

merci d’avoir rappelé aux responsables des établissements scolaires de Joigny la date anniversaire de la loi dite Loi Christiane Taubira reconnaissant la traite et l’esclavage des Noirs comme crime contre l’humanité. Après avoir évoqué dans cette adresse notre exposition qui sera visible du 13 au 19 mai dans le hall d’honneur de la mairie, vous avez tenu à leur préciser votre sentiment personnel en ces termes : « Je souhaite que les jeunes générations se rappellent ces pages sombres de notre histoire. Et vous avez ajouté – Dans la suite de cette manifestation, je serai très heureux si vos élèves pouvaient visiter cette exposition ».

Monsieur le maire,

Ce rappel de ce qui EST (ou doit être) fait plaisir d’autant plus que nos gouvernants et les responsables de nos institutions ont tendance, quand l’indifférence ou le mépris s’installe, à oublier de rappeler à tous les citoyens la direction que la République a choisi de suivre. La commémoration de l’abolition de l’esclavage décidée par la République ne doit pas être considérée comme une anecdote vouée à l’indifférence puis à l’oubli. Les événements que rappelle la manifestation d’aujourd’hui ont participé à la formation de la France ; et leurs héritages sont encore vivants. Les héritages de ces événements ne se lisent pas seulement dans la géographie actuelle de la France éclatée sur plusieurs continents et plusieurs océans ; ils se lisent aussi dans les monuments des villes comme Bordeaux, Nantes, la Rochelle, Bayonne, le Havre, Saint-Malo, Paris, Orléans, Marseille. Et aujourd’hui, dans plusieurs de ces villes sont organisés des circuits dits négriers pour découvrir la richesse de la France générée par l’esclavage des Africains. Et c’est une très belle leçon donnée à ceux qui ont voulu tourner la page de cette histoire sans la lire. A ceux-là, nous disons qu’ils n’ont pas le droit d’empêcher la jeunesse de connaître ce passé de la France !

ChoraleMesdames et Messieurs les conseillers municipaux,

Mesdames et Messieurs les présidents et représentants des mouvements associatifs, chers amis,

Si j’ai tenu à relever ce rappel de Monsieur le maire aux représentants locaux de l’Éducation nationale, c’est parce que cet appel à se souvenir est un devoir républicain qui est allègrement négligé. Si la première circulaire relative à la commémoration de l’abolition de l’esclavage signée par le Premier Ministre en avril 2008 reste imprécise quant aux structures chargées de l’organisation des manifestations locales, depuis 2021, cette circulaire du Premier ministre ou de la Première Ministre aux préfets et aux recteurs d’académie leur demande d’inviter les maires et les chefs établissements scolaires à consacrer une journée à la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Donc tous les ans, depuis 2021, cette circulaire dit explicitement ceci : « Le mois de mai est devenu le Mois des Mémoires de l’esclavage et de ses héritages. C’est en effet durant cette période qu’interviennent les deux journées nationales aujourd’hui fixées par le calendrier républicain – le 10 mai, la journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions […] et le 23 mai, la journée nationale en hommage aux victimes de l’esclavage » ; journée qui se décline en des dates différentes dans les îles françaises des Amériques et de l’océan Indien. Plus loin, la circulaire s’adresse aux préfets en ces termes : « Vous diffuserez la présente circulaire à l’ensemble des maires de votre département, en les invitant à organiser une cérémonie similaire, ou tout autre initiative, notamment culturelle, en rapport avec la mémoire de l’esclavage et l’histoire des relations entre la France, l’Afrique, l’Amérique, les Caraïbes et l’océan Indien […], soit le 10 mai, soit le 23 mai, soit à une autre date à choisir par la municipalité, à l’intérieur des limites du Mois des mémoires (c’est-à-dire entre le 27 avril et le 10 juin) ».

La recommandation est claire et le calendrier très large pour permettre à chaque municipalité, à chaque établissement scolaire, de se souvenir par la marque qui lui convient. Dans l’Yonne, il serait bon de savoir quelle autre municipalité que la ville de Joigny consacre du temps à cette mémoire commune. Toujours dans l’Yonne, quels sont les établissements – mis à part trois ou quatre – qui se montrent soucieux de la transmission de cet héritage aux jeunes générations ? Or les jeunes sont les héritiers de notre histoire. Retenons tous qu’un héritage, qu’on le veuille ou non, on doit savoir qu’il existe et connaître sa teneur. C’est une obligation ! Quand vous avez pris connaissance de l’existence d’un héritage, vous pouvez décider de l’exploiter, de le développer dans votre intérêt ou en mémoire du disparu qui représente votre histoire ; vous pouvez aussi choisir de ne pas en profiter (La langue, un héritage – par l’écrivaine Liss Kihindou). Mais personne n’a le droit de refuser d’avoir connaissance de l’héritage laissé par ses aïeux ! Ce qui veut dire que nul n’a le droit de priver les jeunes générations de leur héritage historique touchant l’esclavage des Noirs et la colonisation de l’Afrique ! Il faut obligatoirement qu’ils en aient connaissance ! Ce qu’ils en feront plus tard est leur affaire !

Voilà pourquoi cette exposition de La France Noire est régulièrement reçue pendant l’année scolaire par certains collèges et lycées pour contribuer à l’instruction des jeunes. Elle est depuis novembre 2022 homologuée – comme nos deux autres expositions – par l’Éducation nationale dans le cadre de son dispositif Pass culture et donc conseillée à tous les collèges et lycées de France. Elle participe non seulement à l’instruction des jeunes mais elle est aussi un outil de commémoration de l’abolition de l’esclavage dans les établissements scolaires. c’est ainsi que cette année La France noire a été invitée par le lycée du Dauphiné à Romans-sur-Isère dans la Drôme pour une manifestation commémorative magnifique qui témoigne d’une réelle volonté d’ancrer l’esclavage des Africains dans notre récit national afin que n’importe quel Noir ne soit pas vu comme un immigré, un étranger. Oui, il y a heureusement en France des établissements scolaires qui commémorent tous les ans l’abolition de l’esclavage par des manifestations de leur choix et sont prêts à accueillir notre exposition.

Cette exposition qui vous est proposée est construite en trois parties :

° L’organisation de la traite à partir des comptoirs ou forts gérés par les émissaires des royaumes européens et les résistances africaines à ces forces militaires possédant des armes à feu que les Africains ignoraient.

° Les résistances des captifs africains pendant la traversée vers les Amériques.

° Les différences formes de résistance des esclaves africains dans les Amériques.

Mais pour bien comprendre cette exposition, il faut se poser les bonnes questions.

A – Qu’est-ce que l’esclavage ? En d’autres termes, qu’est-ce qu’un esclave ?

L’esclavage, c’est l’exploitation de la force physique de l’autre pour son profit personnel. Vous faites de quelqu’un un esclave quand vous le faites travailler mais qu’ensuite vous vous appropriez le fruit de son travail. L’esclavage est donc une histoire universelle. Partout dans le monde – hier comme aujourd’hui – des hommes ont subi l’exploitation par d’autres. Les Africains ne sont pas les seuls peuples de la terre dont la force physique a été exploitée par d’autres. Voilà pourquoi notre exposition ne présente pas des esclaves africains au travail.

En remontant à l’origine du mot « esclave » les choses deviennent encore plus claires.

B – L’origine du mot esclave” :

° Le mot esclave est un terme européen dérivé d’un mot désignant les populations d’Europe centrale : LES SLAVES (Ukraine, Biolorussie, sud la Russie actuelle, Pologne la Tchéquie, la Slovaquie). ° Que s’est-il passé avec les Slaves ? Au Moyen âge, le commerce maritime se développe autour de la Méditerranée avec la multiplication des galères qui sont d’immenses navires à rames. Entre le VIIIe et le XVIIIe siècle, les Européens vont enlever des populations slaves pour les faire travailler sur les galères. Bien sûr, d’autres populations européennes seront aussi condamnées aux galères sur la Méditerranée, mais les Slaves seront les plus nombreux.

Avec le temps et on assiste à la déformation du nom « slave » qui devient « esclavus » en latin et « esclave » en français. « esclavus » va donc remplacer le mot « SERVUS » qui – depuis l’antiquité – veut dire serviteur et qui a donné en français le « serf ». En résumé : « esclave » va remplacer « serviteur ou serf », et le mot « esclavage » va remplacer le mot « servitude ».

Les Africains ne sont pas des Slaves mais vont hériter de la déformation du mot. D’ailleurs en Anglais le mot « slave » n’a pas été déformé : on parle bien de « slaves » en anglais.

Mais alors, me direz-vous, si les africains n’ont pas été les seuls êtres humains dont la force physique a été exploitée pour enrichir d’autres, pourquoi parle-t-on constamment de leur mise en esclavage ? La réponse est claire est simple : Cet esclavage a provoqué la plus grande déportation humaine dans l’histoire de l’humanité. D’autre part, elle a complètement modifié la pensée européenne puis celle du reste du monde : le racisme qui s’est infiltré dans l’histoire de l’humanité vient de là !

Cela nous conduits à parler de ce qui caractérise cet esclavage et donc de l’exposition qui vous est présentée aujourd’hui.

C – ce qui caractérise cette exposition

ce qui caractéristique cette exposition, c’est la violence. Cela veut dire tout simplement que face à la volonté prédatrice des Européens, les Africains ont développé une résistance permanente. Et ce sont les Européens eux-mêmes qui montrent ces résistances à travers les images présentées ici.

Au regard des multiples rébellions qui se sont produites à bord des navires négriers, L’historien américain Marcus Rediker remarque que « chaque navire contenait en son sein un processus de dépouillement culturel venant d’en haut, et un contre-processus de création culturelle venant d’en bas » ; c’est-à-dire qu’à la violence exercée sur leur corps par les Européens pour les soumettre, les Africains s’ingéniaient à trouver les moyens de leur résister : par les révoltes, les suicides, le refus de s’alimenter. Et sur le continent américain, ils vont inventer d’autres moyens de résistance comme le marronnage – c’est-à-dire la fuite – les avortements et les infanticides pour les femmes.

          A ceux qui font passer leur inculture pour du savoir et qui croient que la République s’est levée un beau matin et s’est dit « Tiens, on va abolir l’esclavage aujourd’hui », disons ceci :

          La révolution de Saint-Domingue dirigée par Toussaint Louverture ayant abouti en 1793 à l’abolition de l’esclavage sur l’île n’est que le point d’orgue de la résistance africaine à la traite et à l’esclavage des Noirs partout dans les colonies européennes des Amériques.

          Oui, c’est sous la pression initiée par les esclaves africains dirigés par Toussaint Louverture et ses amis que le commissaire Sonthonax proclame leur libération à la fin du mois d’août 1793. Sonthonax enverra ensuite trois émissaires à Paris expliquer devant la convention la nécessité d’abolir l’esclavage dans toutes les colonies françaises. Ce sera chose faite le 5 février 1794.

          Toussaint Louverture est donc incontestablement une figure illustre qui émerge du monde politique européen avec la Révolution française. Ce héros de la Révolution deviendra général en chef des armées françaises de Saint-Domingue le 1er septembre 1797, puis gouverneur général de l’île. Enlevé par l’armée de Napoléon au moment où celui-ci avait décidé le rétablissement de l’esclavage, Toussaint Louverture mourra le 7 avril 1803 au fort de Joux, près de Pontarlier, sept mois après son incarcération.

          En 2023, placer le 175e anniversaire de l’abolition de l’esclavage sous le signe d’un hommage à Toussaint Louverture n’est donc que justice. C’est reconnaître officiellement que l’abolition de l’esclavage en France est d’abord le fait de la lutte des opprimés pour recouvrer leur liberté. Une lutte permanente qui ne permettait pas la poursuite des méthodes anciennes. Après sa mort, ses amis Dessalines, Christophe et Pétion triompheront de l’armée de Napoléon à Vertières en novembre 1803 et proclameront aussitôt l’indépendance de l’île ; indépendance qui sera officialisée le 1er janvier 1804 et redonnera à l’île son nom ancien : Haïti.

          Voilà donc, Mesdames et Messieurs, chers amis, la réalité de l’histoire de la traite et de l’esclavage des Africains faite d’une part de l’insoumission des Africains et d’autre part de l’inventivité des Européens en matière de supplices pour briser à la fois leur corps et leur esprit. Et c’est ce que vous pouvez découvrir dans cette exposition. Après Toussaint Louverture, d’autres figures françaises reprendront le flambeau de la lutte jusqu’à la deuxième abolition de l’esclavage en France en 1848. Retenons donc tous que seule la lutte paie.

          Je vous remercie.

Raphaël ADJOBI

Le lycée du Dauphiné à Romans-sur-Isère commémore l’abolition de l’esclavage

Romans discours coupé          Dans le cadre de la commémoration du 175e anniversaire de l’abolition de l’esclavage en France, le lycée polyvalent du Dauphiné à Romans-sur-Isère a fait du jeudi 27 avril une journée particulière qui marquera pour longtemps l’esprit des jeunes qui y étudient. Une journée de mémoire et de fête à laquelle ont été conviés non seulement des intervenants pour partager des savoirs – comme La France noire – mais aussi des animateurs culturels.

Romans accueil          La veille, Monsieur le proviseur, son adjointe et notre collègue documentaliste ont reçu leurs invités qui étaient déjà arrivés pour un bon repas dans un restaurant ; l’occasion de faire connaissance et vivre un moment de partage. Excellente idée parce que le lendemain chacun était à son poste pour jouer son rôle afin que la fête soit belle.

          La journée du jeudi commencera d’abord par le rassemblement de l’équipe pédagogique, des intervenants et animateurs autour des personnalités qui honoraient de leur présence la cérémonie. Après les mots de bienvenue, Monsieur le proviseur rappela l’histoire de l’abolition de l’esclavage en France qui se fit en deux étapes : une première fois en 1794, et une deuxième fois en 1848 parce que Napoléon Bonaparte avait décidé de remettre les citoyens noirs en esclavage en 1802. Puis le représentant du maire prit la parole pour se réjouir de cette belle fête commémorative qui marque aussi une vie nouvelle dans un établissement agréablement rénové. Effectivement, même si certains bâtiments attendent d’être réhabilités, l’établissement a fière allure, surtout avec son CDI dont l’intérieur vous donne l’impression d’être dans une cathédrale. La dernière à prendre la parole fut Madame la conseillère régionale : non seulement elle souligna l’importance de la cérémonie qui commémore une histoire nationale, mais elle appela la jeunesse à se souvenir afin de contribuer à rendre l’avenir plus fraternel. Un message qui rejoint celui de La France noire accompagnant ses expositions pédagogiques itinérantes.

Romans chorale et gospel - couleur          La journée a ensuite été marquée par la participation des lycéens aux rencontres avec les intervenants mais aussi à des moments festifs à l’extérieur avec deux groupes d’animation : un trio de gospel et un joyeux groupe de tambours aux couleurs vives. Bien vu de la part de l’équipe éducative !

Romans-sur-Isère l'équipe de la restauration          La direction du lycée du Dauphiné a tenu aussi à marquer cette journée d’une note spéciale : une cuisine créole pour tous ! C’est en effet dans les îles des Amériques, alors colonies françaises, que des populations venues d’ailleurs – oppresseurs et opprimés – vont forger leur destin. Le personnel de la restauration a donc travaillé avec le concours d’une équipe de dames spécialistes de la cuisine créole pour transporter chacun dans les îles le temps d’un repas.

Romans conférencier          La France noire* se réjouit d’avoir été invitée à cette belle fête commémorative nourrie d’inventivités et donc d’intervenants venus d’horizons différents. Aujourd’hui, grâce au Pass culture, les établissements scolaires n’hésitent plus à solliciter des acteurs de la vie culturelle dont le siège est à l’autre bout de la France. C’est dire que la culture traverse plus aisément les frontières de nos régions. Et cela est heureux.

* Les interventions de La France noire se sont déroulées sur deux journées (jeudi 27 et vendredi 28) et ont permis à 9 classes de bénéficier de la rencontre avec notre intervenant.

Raphaël ADJOBI

ZISKAKAN et le combat pour la diversité culturelle en France (Un documentaire de Sébastien Folin)

Ziskakan          En février 1979, naît ZISKAKAN (Jusqu’à quand ?) sous la forme d’une association culturelle regroupant chercheurs, historiens, poètes et musiciens ayant pour but la valorisation de la culture réunionnaise ; notamment la langue créole et le maloya, cette musique porteuse de l’histoire de l’île mais qui ne se pratiquait que dans la clandestinité. Jusqu’à quand durera l’effacement de la culture créole ? Jusqu’à quand durera l’uniformisation des esthétiques et des récits destinés aux jeunes générations ? Une lutte qui, selon le site Bretagne actuelle, rappelle « les heures sans fin de notre histoire bretonne, basque, catalane, corse, alsacienne… (Une histoire réunionnaise) oubliée, effacée et toujours ignorée dans les manuels scolaires. Nos ancêtres les Gaulois… Comme un rouleau compresseur, le roman national écrase toute idée de la différence, surtout si elle contredit deux siècles de mensonges républicains ». En cette année 2023, c’est donc de La Réunion, à l’autre bout du monde que nous vient cette autre voix qui demande à avoir droit de cité. Le documentaire que Sébastien Folin – né à Madagascar et élevé à La Réunion – consacre à ZISKAKAN nous fait « comprendre pourquoi et comment il était urgent et nécessaire de défendre cette culture créole » comme le fait cette association qui rayonne depuis 1979 par le biais de la musique.

Sébastien Folin          Selon Sébastien Folin, à La Réunion, Ziskakan, c’est l’équivalent des Rolling Stones ! Et il a voulu montrer le combat culturel du groupe en faveur du créole. Mais au-delà du groupe, « c’est un portrait impressionniste de la créolité réunionnaise » qu’il a réussi : « c’est une culture insulaire que l’on retrouve aux Seychelles, à Maurice, à la Martinique… Jusqu’en Louisiane ! Tous ces peuples se sont retrouvés dans des endroits qui n’étaient pas les leurs, oppresseurs comme opprimés. […] La Réunion, c’est une île peuplée de pirates, de malfrats, de cadets… Qui avaient subi l’oppression en Europe et qui l’ont fait subir ici. Et comme les esclaves, ils sont arrivés par bateau. Tout le monde est arrivé par la mer à La Réunion. Cette histoire là ne nous est pas racontée. Moi j’ai 53 ans, et à l’école j’ai appris que mes ancêtres étaient Gaulois. Je n’ai jamais rien appris de mes origines indiennes. […] Partout, ces multiples arrivées ont créé des cultures spontanées. Cette créolité est souvent maladroitement présentée comme le résultat d’un métissage. C’est ça bien sûr, mais c’est aussi une solitude qu’il fallait combler. C’est de l’amour, mais aussi du sang et des larmes. Pour La Réunion, on occulte souvent ces deux derniers. Car derrière ce vivre ensemble, on édulcore la dimension complexe du créole ».

Une histoire universelle :

ZISKAKAN 2          « Vous Bretons (Bretagne actuelle), vous avez mené des combats identiques. Comme nous, vous avez vécu l’effacement de l’identité. Vous vivez peut-être encore l’oppression culturelle, voire son aliénation, la fameuse assimilation qu’on associe souvent à des gens de couleur. Il était interdit de parler sa langue vernaculaire. Nos histoires ont ça en commun. […] Je suis Réunionnais et ma force c’est que les intervenants m’ont dit des choses qu’ils n’auraient jamais dites à quelqu’un qui n’était pas de là-bas. Je pense sincèrement que j’ai eu des choses… […] des choses sont arrivées spontanément comme Alain Mayendu qui parle de l’assassinat de son grand-père […] qui mettait de la poudre sur son visage pour être blanc à l’église. Ce n’aurait pas été un réunionnais derrière la caméra, on aurait peut-être pas entendu ça (dans le documentaire) […] Ziskakan n’est pas qu’une histoire locale. L’esclavage n’est pas que l’histoire de La Réunion, c’est l’histoire de France. Dans toutes les régions de France, on a vécu les mêmes choses : le déplacement des populations, l’enlèvement des enfants, etc. Après, il ne faut pas tout mettre au même niveau. La déportation de 40 millions d’Africains dans le monde, c’est unique. Mais des souffrances, il y en a eu dans toutes les régions du monde. Raconter l’histoire est donc fondamentale pour qu’on arrive tous à se retrouver autour d’une histoire commune. Sinon, on en voudra toujours à quelqu’un. Ce film s’inscrit dans cette démarche. […] Je veux que tout le monde se dise : c’est notre histoire. A l’occasion de la remise du Prix de l’Académie Charles Cros, j’échangeais avec une manageuse, elle est Irlandaise, et me l’a confirmé : c’est notre histoire ! (avaient été ses mots) »

La nécessité de découvrir la culture de l’autre :

          « Je suis militant. Tant que chacun gardera son histoire dans son coin, on ne pourra pas construire notre Nation. Être français, c’est connaître l’histoire des Bretons, des Réunionnais, des Parisiens… Et c’est aussi partager la même langue. Ce qu’on défend dans le film, c’est le créole et le français. Pas le créole partout et tout le temps. « Respectez-nous, ne nous écrasez pas » : c’est ça le combat de Ziskakan. Ce n’est pas le créole à la place du français ».

° Extraits de l’article de l’entretien accordé à Bretagne actuelle par Sébastien Folin – réalisateur du documentaire Ziskakan – 53 minutes. Première diffusion nationale : Lundi 1er mai 2023 à 23h40 sur France 3. A voir et à revoir en replay sur France TV.

° L’explication du nom de l’association qui est aussi celui du groupe musical vous est donné à la fin du film, dans une belle ambiance.

Raphaël ADJOBI (pour la mise en forme).

L’image du Noir dans l’instruction des Français au XXe siècle

Par Georges Sadoul – 1904-1967. Extrait de la traduction de Sambo without Tears” dans Nancy Cunard, Negro Anthology, 1931-1933, Londres.

L'instuction des Français Blancs          « […] Je lis en ce moment des journaux rédigés spécialement pour les enfants français : Cri-Cri, l’Épatant, Pierrot, Le Petit illustré, qu’on tire chaque semaine chacun en de milliers de centaines d’exemplaires, des journaux que pratiquement tous les enfants prolétaires, paysans, petits bourgeois, achètent chaque semaine s’ils savent lire. Ces journaux je les ai achetés au hasard dans un petit village de petits agriculteurs, dans la seule boutique du pays, et je sais qu’on les trouve de même dans tous les villages de France, dans tous les faubourgs ouvriers de France. Je n’ai pas choisi les numéros et j’ai pu me rendre compte que le Nègre – qui symbolise ici et d’ailleurs en général le peuple colonial de toute couleur – est un héros que l’on trouve dans chaque numéro des journaux d’enfants, un héros qu’on entend populariser. Voici la conception du Nègre que ces journaux veulent imposer aux enfants. Cette conception est celle que la bourgeoisie française a du Nègre.

          “A l’état sauvage, c’est-à-dire avant d’être colonisé, le Nègre est un dangereux bandit. […] Le Nègre une fois pacifié a bien ses défauts. C’est un ivrogne fini. […] Le Nègre est aussi un serviteur effroyablement paresseux. Il faut le gourmander pour en obtenir quelque chose.

          Mais il a ses qualités : le Nègre est un bouffon destiné à amuser les Blancs. C’est le fou des rois français. Et c’est sans doute parce que le Nègre est un bouffon que les seuls d’entre eux qui soient réellement toujours admis dans tous les salons français sont les grooms et les musiciens de jazz destinés à faire danser les élégants messieurs et dames. [Vous pouvez donc comprendre pourquoi les clowneries de Joséphine Baker n’ont jamais séduit les Noirs].

           Le Nègre a d’autres qualités. On peut en faire un soldat. […] On voit en lisant ces journaux d’enfants destinés à faire de leurs lecteurs de parfaits impérialistes quelle est l’idée que la bourgeoisie française entend imposer de l’homme de couleur. […] ».

Faire des jeunes lecteurs de parfaits impérialistes, peut-être ; en faire de parfaits racistes à l’égard de leurs compatriotes noirs qui se découvraient dans ces journaux, sûrement. Enseigner = montrer ! Montrer ce que l’on fabrique à partir de ses fantasmes jusqu’à ce que cela soit compris comme la vérité, même si cela n’a rien à voir avec la réalité.

Raphaël ADJOBI

Le lycée Clément Ader accueille pour la deuxième fois « La France noire » au cours de cette année scolaire 2022-2023 !

Tournan mars 2023 C          Si grâce au Pass culture les expositions pédagogiques de La France noire peuvent être accueillies partout en France, ce dispositif permet aussi aux établissements scolaires de ne pas se limiter à une seule invitation quand ils sont satisfaits d’un acteur culturel qui propose plusieurs thématiques pour l’instruction des jeunes. Ainsi, après avoir reçu « Les Noirs illustres et leur contribution à l’histoire de France » en décembre dernier, le lycée Clément Ader à Tournan-en-Brie (77 – Seine-et-Marne) vient de découvrir « Les résistances africaines à la traite et les luttes des esclaves pour leur liberté dans les Amériques ». C’est la première fois que La France noire est invitée deux fois par le même établissement au cours de la même année scolaire !

          Du lundi 27 au vendredi 31 mars 2023, les élèves et les enseignants de ce lycée de la Seine-et-Marne ont pu découvrir des aspects méconnus de l’histoire de l’esclavage des Noirs dans les Amériques et se faire une idée plus précise du combat de ces derniers contre leur asservissement. Ils ont tous compris que la maltraitance, les mutilations n’avaient pour seul objectif que de briser leur résistance ! La force de cette exposition a nourri dans l’esprit de notre collègue Thibault Noël-Artaud, professeur de philosophie et acteur des deux invitations, un nouveau projet : emmener ses élèves sur les traces de l’esclavage des Noirs à Paris ; en d’autres termes, aller découvrir les réalisations faites dans cette ville avec l’argent de la traite et de l’asservissement des Noirs dans les colonies. C’est l’antenne de l’association bordelaise Mémoires & Partage qui propose les visites « Paris négrier ».

Tournan mars 2023          Les 12 heures de conférence sur les deux journées – lundi et vendredi – ont permis à un maximum d’élèves de comprendre qu’il faut de temps en temps lever la tête des manuels scolaires pour accéder aux connaissances qui permettent de découvrir les réalités du monde. Et quand je les entends s’exclamer « Pourquoi on ne nous apprend pas tout çà ! », ma réflexion est toujours simple : «On devrait effectivement. Et c’est parce que tout cela n’est pas dans les manuels scolaires que vos enseignants me sollicitent pour vous apporter ces connaissances ». Et c’est vrai que les enseignants modestes sont toujours désireux de connaissances et soucieux de partager leurs découvertes avec leurs élèves. L’enthousiasme de nos collègues devant la qualité de notre travail fait plaisir et nous encourage à persévérer. Merci à notre collègue documentaliste qui est rapidement devenue une excellente ambassadrice des expositions de La France noire.

Tournan mars 2023 B          Je termine ce billet par un conseil aux collègues qui abandonnent définitivement l’étude des romans sur l’esclavage des Noirs avec leurs élèves parce que leur premier choix n’a pas été concluant. Quand vous ne maîtrisez pas un sujet, il n’y a aucune honte à faire appel à un collègue pour partager avec lui ses connaissances. La France noire est née pour permettre cette collaboration grâce à son savoir-faire spécifique. Pensez-y ! Ne privez pas les jeunes de connaissances en démissionnant devant les difficultés. Faites confiance à quelqu’un dont cette thématique est une passion, car, comme le dit si bien Didier Eribon « Au fond, c’est l’enthousiasme qui compte, et le désir de tout découvrir. Le contenu vient après » (Retour à Reims, Champs essais, 2018).

Raphaël ADJOBI

Le lycée Philippe Tissié à Saverdun (09 – Ariège) accueille « L’invention du racisme »

Saverdun 1       L’événement mérite d’être souligné : grâce au dispositif Pass culture mis en place par le ministère de l’Éducation nationale et de la culture, le lycée Philippe Tissié à Saverdun (Ariège 09) a pu demander l’intervention de l’association La France noire, lui permettant ainsi – pour la première fois de son existence – de présenter une de ses expositions à près de 800 kilomètres de son siège social (Joigny – 89) ! Tous les enseignants de cet établissement étaient d’accord avec nous pour reconnaître que ce dispositif rapproche la culture des campagnes ! La culture ne doit plus être le privilège des grandes villes. Nous avons même eu le grand plaisir d’entendre un collègue dire que la culture ne doit pas se limiter au patrimoine mais s’ouvrir aux connaissances qui interrogent notre conscience quant à la qualité de notre relation avec l’Autre. Très bien vu, cher collègue !

          Vous imaginez donc que ce voyage au sud de Toulouse, la ville rose, fut pour La France noire un vrai périple. Une nuit à Châteauroux à l’aller, et une une autre à Brive-la-Gaillarde sur le chemin du retour – une fois notre prestation de la journée du mardi 21 mars terminée. Après la nuit de repos dans cette ville, temple du rugby français, il a fallu faire une halte dans la charmante ville d’Issoudun pour déjeuner avant la dernière partie du parcours vers Joigny.

Saverdun 2          Quel grand plaisir de voir tous les enseignants enthousiastes, montrant un grand intérêt pour notre travail ! Les échanges furent forcément très riches : le professeur documentaliste voyait déjà le profit qu’il fera, dans un futur projet, de la partie de notre travail consacrée au racisme dans la publicité ; un collègue n’a pas hésité à rappeler aux élèves l’importance de l’histoire dans le développement de chaque individu – rejoignant ainsi une collègue qui a insisté sur l’importance d’avoir des connaissances pour apprécier les discours ambiants ; un autre collègue a dit combien son épouse, chef d’établissement, sera heureuse d’avoir des informations sur notre exposition. Quant au surveillant, il voyait dans cette exposition des arguments pour désamorcer les conflits entre les élèves internes de l’établissement. Indubitablement, tous ont vu dans l’attention des élèves que le racisme n’est tabou que dans l’esprit des adultes et nullement dans celui des jeunes.

          Devant tant de discours enthousiastes, la déléguée culture a exprimé, au moment de nous quitter, son désir de nous solliciter à nouveau pour rencontrer – en septembre ou en octobre – les élèves des deux établissements où elle enseigne.

          Merci à toutes et à tous pour vos belles appréciations qui ont rendu notre bref séjour bien agréable.

Raphaël ADJOBI

IMAGES NOIRES : la représentation des Noirs dans la bande dessinée mondiale (Fredrik Strömberg)

L'image du Noir en BD          Chaque fois que l’on parle des canaux de vulgarisation du racisme, les chercheurs et le commun des citoyens pensent immédiatement aux expositions coloniales et aux images de propagande qui ont appuyé les théories racistes des pseudo-scientifiques du milieu du XIXe siècle. Personne ne pense à la force extraordinaire de la bande dessinée qui permettait à tout le monde – jusqu’aux confins des campagnes les plus reculées d’Europe et des Amériques – de partager les images et les opinions des racialistes puis des racistes à l’égard des Noirs ! Voilà l’originalité et le grand intérêt du livre de Fredrik Strömberg, journaliste et historien spécialisé dans la bande dessinée.

          Images noires témoigne de l’extraordinaire popularisation des stéréotypes négatifs du Noir durant près de deux siècles dans l’imaginaire des Européens, contribuant ainsi à l’enracinement du racisme en Occident et dans le reste du monde. Le livre commence par une excellente introduction de l’auteur qui, tout en indiquant sa motivation et la méthode de travail choisie, suscite immédiatement l’intérêt du lecteur en donnant à la fois une brève histoire de la bande dessinée – exemple : le passage du texte sous l’image à la bulle – ainsi que le public visé par les auteurs selon les époques. Il ne manque pas d’y ajouter une brève présentation des 7 stéréotypes du Noir soigneusement entretenus dans l’imaginaire des Blancs jusqu’en ce XXIe siècle.

          De l’invariable représentation des Noirs depuis le milieu du XIXe siècle comme « un rond noir avec deux saucisses au milieu pour lèvres » – formule du dessinateur noir Ollie Harrington – les États-Unis sont passés, après les années 1950, à des images plus réalistes devant « les protestations répétées de la NAACP et des travailleurs des droits civiques » qui ont fini par rendre ces images inacceptables. Par contre, en Europe où les Noirs constituent une infime minorité et ne pèsent donc pas lourd dans la balance politique et médiatique, on a allègrement perpétué ces stéréotypes avec lesquels les Blancs se sentaient très à l’aise. Il suffit de voir quelques publicités du XXIe siècle pour s’en convaincre. C’est donc à partir du XXe siècle que certains aspects de ces stéréotypes furent transférés sur des animaux anthropomorphes tels que Krazy Kat, Félix (le chat), et plus tard Mickey Mouse. Une adroite façon, bien connue, d’aborder un thème difficile à traiter dans un contexte réaliste. Tous ces animaux étaient donc noirs par procuration, puis certains ont évolué. On remarque aussi que, quand les personnages devenaient trop célèbres ou inacceptables, on les stéréotypait moins afin d’en faire des héros neutres, sinon blancs. Ainsi, on note que dans les aventures de Little Nemo in Slumberland, datant du début du XXe siècle, le garçon nommé le Jungle Imp (Diablotin de la jungle!) qui partageait la vedette avec le petit garçon blanc, avait la peau sombre, s’exprimait dans un langage incompréhensible, portait un pagne et avait des lèvres énormes. Mais quand Nemo fut adapté en dessin animé dans les années 1980, la peau du Diablotin de la jungle était devenue bleue ! De même Sam et Sap, le groom noir et son singe de Rose Candice datant de 1908 devient 30 ans plus tard Spirou le groom blanc avec un écureuil pour compagnon !

Images noires 2          Quant à Tarzan, il a façonné pour longtemps l’imaginaire des Européens. « Enfant élevé par les nobles animaux de la jungle africaine », avec lui, le continent africain est une seule nation, consistant uniquement en jungles habitées par des sauvages sur lesquels il règne. Une conception du continent qui a provoqué les protestations des Africains devant les Nations Unies. Mais pour tous les racistes de ce XXIe siècle qui veulent continuer à colporter les stéréotypes sur les Noirs, il leur suffit de dire qu’ils ne sont pas racistes et ils sont aussitôt pardonnés. C’est presque drôle d’entendre chacun dire : «  je le connais, il ne peut pas être raciste ! » Ici, on distribue la communion aux Blancs sans confession.

          A vrai dire, le racisme persiste à cause de la profonde ignorance de l’histoire de son invention et de son enseignement durant deux siècles. Aussi, il convient de prêter attention quant à la manière de lutter contre ce fléau préconisée par l’auteur : « A mon avis, ce n’est qu’en identifiant, en étudiant et en dénonçant le racisme du passé que nous pouvons dénoncer et combattre celui d’aujourd’hui » ! Fredrik Strömberg donne donc pleinement raison à La France noire qui, avec ses expositions, remonte dans le passé pour montrer aux jeunes générations la source du racisme qui coule parmi nous, et ce afin de les en préserver.

Raphaël ADJOBI

Titre : Images Noires / éd. PLG, janvier 2010.

Le lycée Saint-Germain à Auxerre (89) accueille « L’invention du racisme »

Saint-Germain 89 fev. 2023 A          Du lundi 20 au vendredi 24 février 2023, le lycée Saint-Germain à Auxerre (89 – Yonne) a accueilli pour la deuxième fois une exposition de La France noire. Les professeures documentalistes, en accord avec le proviseur de l’établissement, ont tenu à profiter du Pass culture pour offrir aux jeunes l’occasion de découvrir les conditions dans lesquelles est né le racisme, et comment s’est organisée sa propagation.

          Il n’est pas inutile de dire ici que les adultes trop soucieux de la quiétude intellectuelle des élèves les privent de connaissances. Par le passé, c’est par le même souci de la quiétude intellectuelle des femmes et des esclaves qu’on les a éloignés des livres pour les priver de connaissances afin de les maintenir dans la sujétion des mâles et des maîtres. Que ces adultes-là sachent que c’est un réel plaisir de voir les jeunes surpris de découvrir l’origine du racisme et aussi d’avoir pour la première fois – grâce à notre exposition – l’occasion de rattacher des images des comportements des hommes aux théories des racialistes (des inventeurs des races humaines) du XIXe siècle.

Saint-Germain 89 fev. 2023 B          En effet, quand les jeunes prennent conscience de l’ampleur de l’immixtion du racisme dans la science, dans la publicité jusqu’en ce XXIe siècle, dans les actes devenus populaires comme jeter des bananes aux joueurs noirs sur un terrain de football ou se décaper la peau pour la blanchir, ils ne peuvent que se poser cette question : comment lutter contre le racisme ? Voici la réponse de l’un d’entre eux à son camarade qui a posé la question : « Je ne crois pas qu’en quelques décennies ou même en un siècle on pourra faire disparaître le racisme. Il est trop profondément ancré dans nos sociétés ». Devant la classe montrant un visage perplexe, la réponse du conférencier s’imposait : « Ne nous soucions pas du temps que cela prendra. L’essentiel est de commencer à semer des connaissances montrant comment le racisme s’est construit et comment il s’exprime encore aujourd’hui. Et c’est ce que fait l’association La France noire, contrairement à ceux qui se contentent de donner des leçons de morale. Nous vous apportons des connaissances pour que chacun apprenne à reconnaître les propos, les actes et les images qui perpétuent le racisme depuis deux siècles. Vous êtes jeunes, vous êtes la France de demain ; c’est vous qui dirigerez ce pays, c’est vous qui le construirez. Si vous voulez une France plus fraternelle que celle que nous vous offrons aujourd’hui, si les connaissances que nous vous apportons peuvent vous préserver de toutes les images et des propos que contient cette exposition, alors, grâce à une meilleure connaissance de notre histoire commune et au respect de vos différences, vous contribuerez à faire reculer le racisme ».

          Après cela, quel plaisir immense de voir des jeunes vous quitter comme ayant une mission à accomplir ! Merci à Monsieur le proviseur d’avoir pris le temps de venir assister à une séance de cette exposition-conférence de La France noire.

St-Germain févr. 2023Moment inoubliable dans la vie d’un conférencier : le lundi 20 février, un incident technique a retardé l’arrivée d’un groupe d’élèves à l’exposition-conférence. Évidemment, au moment où le conférencier entame le temps d’échange avec le groupe, la sonnerie met fin à la séance. La professeure demande alors aux élèves de se lever et de céder la place au groupe suivant. « Non madame, c’est intéressant ! On veut rester pour la suite !», crient-ils. Pour éviter la mutinerie qui s’annonçait, le conférencier propose aux élèves de les intégrer aux groupes qui passeront les deux jours suivants. Soulagés, ils quittent la salle avec des « mercis monsieur ». N’est-ce pas là une preuve du succès de cette exposition ?

Raphaël ADJOBI

TIRAILLEURS (un film de Laurent Vadepied avec la collaboration d’Omar Sy)

Tirailleurs affiche          Qui a dit que le passé colonial n’intéresse pas les Français au point d’entrer dans les manuels scolaires ? Tous ceux qui se mettent à trembler d’effroi ou à regarder ailleurs chaque fois que les jeunes sont invités à découvrir des pans méconnus de l’histoire de France impliquant les Africains-Français ont, à travers le succès du film Tirailleurs, l’occasion de réfléchir à ce besoin réel des Français. Nous formulons ici une prière : que ceux qui se considèrent comme les gardiens d’un temple national à préserver soient moins nombreux que les acteurs de la République ayant des idéaux à atteindre avec les jeunes générations. Une meilleure connaissance de notre passé commun doit être un devoir.

          Retenons tous que l’engagement d’Africains comme soldats au service de la France remonte aux premières implantations françaises en Afrique au XVIIIe siècle, précisément au Sénégal (Anthony Clayton, Histoire de l’armée française en Afrique, 1830-1962, Paris, Albin Michel, 1994). C’est d’ailleurs ce qui explique l’origine du mot Tirailleurs sénégalais même quand l’armée coloniale française englobera tous les combattants des territoires de l’Afrique coloniale française. Mais c’est officiellement en 1857 que le corps des Tirailleurs sénégalais est créé par un décret de Napoléon III. « Progressivement, à partir de 1859, les effectifs des Tirailleurs sénégalais deviennent plus importants pour aboutir à la création, en 1884, du premier régiment de Tirailleurs sénégalais, puis en 1892, à un second régiment de Tirailleurs » (Julien Fargettas, article La « Force noire » : mythes imaginaires et réalités in Des soldats noirs face au Reich, Puf, 2015). L’idée et la réalité d’une France noire – ou force noire – ne datent donc pas de 1914 : « dès 1870, des unités prussiennes et allemandes ont eu à combattre des troupes coloniales issues de l’empire français, nord-africaines et sénégalaises pour l’essentiel » (Johann Chapoutot, article Le nazisme et les Noirs : histoire d’un racisme spécifique in Des soldats noirs face au Reich, Puf, 2015).

          Cependant, indiscutablement, l’ampleur de l’engagement d’une force française d’Afrique sur le terrain européen en 1914 puis en 1940 n’a aucune commune mesure avec celle du XVIIIe ou du XIXe siècle. Cette fois, pour renforcer la contribution de ses colonies, la France recourt à une technique déjà pratiquée en Europe depuis le VIIIe siècle dans la traite des Slaves et quelques siècles plus tard pendant la traite des Africains : la rafle des populations. Cette vérité historique avait déjà été soulignée dans un précédent film aujourd’hui oublié : La victoire en chantant de Jean-Jacques Annaud (1976). Mais on constate, à la réaction du public stupéfait par la violence des premières images de Tirailleurs, qu’il n’était pas inutile de la rappeler. Oui, c’est la réalité qu’il faut avoir à l’esprit quand on parle de traite d’êtres humains, et notamment quand on parle de la traite ou déportation des Africains !

          Au-delà de la vie des soldats africains découvrant l’enfer des tranchées ainsi que la violence des combats avec des armes lourdes, le génie du réalisateur Mathieu Vadepied (avec la collaboration d’Omar Sy) réside incontestablement dans les dernières images qui questionnent tous les Français, ceux d’aujourd’hui comme ceux de demain. Désormais, en regardant l’Arc de Triomphe trônant dans Paris avec à ses pieds la tombe du soldat inconnu – Noir ? – chaque citoyen qui aura vu le film pensera à la contribution des Africains aux grands événements de l’Histoire de France.

          Tous les politiciens opportunistes qui avaient cru bon – une fois encore – drainer dans le sillage de leurs vociférations la France des ignorants contre le film en accusant Omar Sy de ne pas tenir compte de leur peau blanche qui les unit à d’autres populations d’Europe dont ils se sentent plus proches en toute circonstance, ceux-là doivent se trouver tout petits devant le grand intérêt des Français pour tous ces Français-Africains morts pour ce qui était leur « mère patrie ». Omar Sy a très bien fait de ne pas perdre son temps avec ces gens-là en les ignorant superbement.

Le point de vue de Laurent Veray, historien du cinéma :

          « Le film d’animation Adama de Simon Rouby (2015), un conte initiatique […] est, à ma connaissance, le premier film de fiction entièrement consacré à cette question des tirailleurs sénégalais pendant la Première Guerre mondiale, mais par le prisme d’un film d’animation et le regard d’un enfant. Depuis, il y a eu quelques documentaires à la télévision, un téléfilm aussi, mais au cinéma, il faut bien reconnaître que cette question avait été complètement ignorée. […] Ces questions de l’empire colonial français, des gens exploités durant ces périodes et dont les enfants, les petits-enfants participent de l’identité française, sont encore très fortes. […] Dans le domaine de l’imaginaire, dans le domaine culturel, parfois ces questions tardent [en d’autres termes, les autorités et les institutions comme l’Éducation nationale et les musées ne font rien pour instruire les populations sur ces questions]. Mathieu Vadepied a choisi le moment peut-être le plus propice pour faire son film. Quand je lis ses déclarations, on voit bien qu’il parle très souvent de portée politique de son film, plus que de questions historiques. Sans doute que les conditions de production étaient un peu plus difficiles, un peu longues [Tirailleurs a mis dix ans à se monter]. Ce qui a contribué à la concrétisation du projet, c’est sa rencontre avec Omar Sy. Il y a des producteurs, des gens qui ont participé à la réalisation de ce film, qui pensent qu’il peut jouer un rôle dans la société aujourd’hui. […] Il peut jouer un rôle dans la prise de conscience collective auprès du grand public de ces questions-là qui sont évidemment essentielles, fondamentales en termes de reconnaissance. Les troupes coloniales de l’époque ont été mobilisées pour se battre et défendre la « mère patrie ». Beaucoup de gens aujourd’hui l’ignorent. » (Extrait du site de France Culture).

Raphaël ADJOBI

Exposition : les « VUES IMPRENABLES » de Martin Etienne

Expo Dijon 2023 IV           Il est tout à fait malheureux de constater que des œuvres magnifiques peuvent passer inaperçues parce qu’insuffisamment mises en valeur par manque de vision élevée pour un affichage plus valorisant. Tous ceux qui – à Dijon (21) – ont eu l’occasion de découvrir les dessins de Martin Étienne peuvent témoigner de son magnifique talent d’analyste de notre société dite moderne. 

Expo Dijon fev. 2023 II          Bien sûr, son travail fait penser à Sempé. Mais quiconque s’arrête à cette figure du dessin humoristique du milieu du XXe siècle se fourvoie dangereusement ! Martin Étienne a l’esprit ancré dans ce XXIe siècle ! Tout en restant dans la lignée de son devancier, il est plus percutant, plus audacieux, en d’autres termes moins consensuel. C’est absolument Jean de La fontaine après Ésope. Une originalité incontestable grâce à un brin d’audace !

Expo Dijon fev. 2023L’exposition s’est déroulée du 8 septembre au 28 octobre 2022 au Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement de la Côte d’Or (1, rue de Soissons – 21 Dijon). Je pense sincèrement que des mairies gagneraient à inviter l’auteur de cet excellent travail afin que les uns et les autres apprennent à se regarder et à regarder la France d’aujourd’hui pour susciter des débats.

Expo Dijon 5Raphaël ADJOBI