Le lycée Clément ADER (77) accueille « La France noire »

Clément Ader déc. 2022          Le lundi 12 et le vendredi 16 décembre 2022, l’association La France noire est intervenue au lycée Clément Ader (Seine-et-Marne) pour 9 heures de conférence (= 9 classes) avec son exposition Les Noirs illustres et leur contribution à l’histoire de France.

          Dans ce bel établissement à l’allure d’un campus universitaire où les activités artistiques (fanfare, orchestre, atelier cinématographique…) rivalisent les unes avec les autres, nous avons été accueillis par un professeur de philosophie passionné de l’histoire des Noirs de France. Connaisseur de l’art des esclaves fugitifs de Guyane et de l’histoire des procès ayant opposé esclaves africains et colons dans les Amériques, Thibault Noël-Artault a illuminé notre séjour au lycée Clément Ader à Tournan-en-Brie. Mille fois merci cher collègue… et désormais ami.

Clément Ader lolli          Tous les professeurs qui ont inscrit leur classe à cette rencontre ont été admiratifs de notre exposition et de la prestation du conférencier. La France noire est d’ailleurs invitée à revenir dans ce lycée en mars prochain avec son exposition Les résistances africaines à la traite et les luttes des esclaves pour leur liberté dans les Amériques. Mais la belle surprise viendra le vendredi 16 (jour de la désinstallation de l’exposition) : nous devions commencer notre première prestation à 9h 30. Retenez bien : une collègue avait pris le risque de nous attendre au CDI à 9h dans l’espoir que nous serions là pour faire profiter ses élèves de quelques minutes de présentation de l’exposition. Et ce fut le cas : nous sommes arrivés à 9h. Certes, le temps était trop court pour procéder à un échange de questions-réponses ; mais les élèves sont repartis après des applaudissements à l’adresse du conférencier. Bravo à cette collègue ! Et à La France noire d’être arrivée une demi-heure avant l’heure prévue. 

Leçons du passage de La France noire au lycée Clément Ader

          Notre passage au lycée Clément Ader a été très fructueux dans la connaissance du fonctionnement du dispositif Pass culture destiné aux acteurs culturels ainsi que de la plateforme ADAGE destinée aux établissements scolaires ; deux logiciels communiquant entre eux. Là-bas, nous avons eu la confirmation que les établissements ont autant de difficultés que les acteurs culturels à maîtriser les outils électroniques qui leur sont dédiés. Aussi, il est à parier que très peu d’établissements scolaires sont parvenus à consulter, via ADAGE ou directement sur la plateforme Pass culture, les offres des conférenciers et exposants. Tous les enseignants peuvent-ils visualiser depuis chez eux ou en compagnie du ou de la délégué(e) culture de l’établissement* les offres des acteurs et professionnels de la culture ? En effet, avoir une idée des offres disponibles permet de les envisager comme supports ou accompagnements des cours ou des projets à mener avec les élèves.

Clément Ader B coupé          Il est à noter que même les plus petits collèges ne comptant qu’une centaine d’élèves – en réunissant les 4e à les 3e – disposent de 2500 à dépenser durant l’année. Largement suffisant pour mener à bien deux ou trois projets avec un acteur culturel (exemple La France noire) ou un professionnel de la culture (exemple un artiste, ou un contrat de film avec une salle de cinéma) ! Les lycées comptant autour de mille élèves disposent d’environ 22 000 à 28 000 euros, et ceux comptant autour de deux mille élèves atteignent les 40 000 euros ! Aucun de ces établissements ne pourra dépenser ces sommes colossales en une année en invitant des intervenants, en organisant des ateliers et en réalisant des sorties pédagogiques. Surtout quand on sait que les frais de déplacement des élèves ne sont pas pris en charge par le Pass culture. Trop d’argent disponible inutilisé pourrait encourager l’État à dire que les enseignants n’en font rien et qu’il convient de ne pas poursuivre l’expérience. Ce serait dommage, parce que beaucoup d’enseignants sont très contents du dispositif.

          On peut tout de même se réjouir du choix fait par l’Éducation nationale de ne pas transférer ces sommes aux établissements scolaires mais de les tenir à leur disposition et les encourager à consommer la culture proposée par les acteurs et les professionnels qu’elle a homologués. C’est la seule façon pour l’État de savoir si les enseignants montrent réellement de l’intérêt pour la culture et surtout ce que les établissements font de l’argent qui lui est dédié. En effet, les collèges et les lycées ne peuvent inviter ou ne fréquenter que les structures culturelles choisies par le ministère de l’Éducation nationale. D’autre part, l’État a compris que la culture a un prix et a mis les fonds nécessaires en place pour que les artistes, les auteurs, les exposants…. soient bien rémunérés. Respecter le savoir commence par le respect du porteur du savoir.

* Tous les collèges et lycées de France doivent avoir depuis 2001 un(e) délégué(e) culture dans le cadre du dispositif Pass culture. Celle-ci ou celui-ci doit informer ses collègues des offres des acteurs culturels pouvant intervenir dans les établissements et celles des professionnels de la culture. La ou le délégué(e) procède à la pré-réservation de l’offre (en accord avec le professeur demandeur) et le chef d’établissement à sa validation finale.

Raphaël ADJOBI

Cinquième intervention consécutive de « La France noire » devant les collégiens et les lycéens de Pierre Larousse à Toucy (89)

Toucy n° 1 coupé          Notre cinquième intervention consécutive devant les collégiens et les lycéens de Pierre Larousse à Toucy (89 – Yonne) a eu lieu du lundi 5 au vendredi 9 décembre 2022. Quatre classes de quatrième et quatre du lycée (177 élèves) se sont présentées durant ces deux journées pour écouter le conférencier de La France noire et échanger avec lui autour de l’exposition Les résistances africaines à la traite et les luttes des esclaves pour leur liberté dans les Amériques. Il convient de retenir que, pour la troisième fois, les lycéens ont participé à cette rencontre à la demande de leurs professeurs.

          Pour notre association, c’est la dernière intervention sous la forme d’un contrat direct avec un établissement scolaire. En effet, au début du mois de novembre 2022, La France noire a accédé au grade de partenaire culturel de l’Éducation nationale grâce à l’homologation de ses trois expositions pédagogiques itinérantes par une commission de ce ministère dans le cadre de son dispositif « Pass culture ». Cette promotion permet à notre association de pratiquer enfin les tarifications officielles préconisées par la Société des Gens de lettres ainsi que par la Charte des auteurs et artistes ; elle lui permet surtout d’être rémunérée par l’Éducation nationale et non par les établissements scolaires. Plus de devis, plus de facture à leur soumettre. Notre employeur, c’est l’Éducation nationale !

Toucy n° 2 coupé          Le collège de Toucy a bien compris le profit qu’il peut tirer du dispositif « Pass culture ». Quand le prix fixé par l’intervenant est assez élevé pour l’établissement, il fallait procéder à une demande de subvention, et espérer durant des mois qu’elle soit accordée. Ce procédé fastidieux et angoissant qui retarde la mise en place des projets est désormais terminé ! Maintenant, il suffit à un établissement scolaire de prendre contact avec un acteur culturel homologué par l’Éducation nationale afin de lui demander une offre de son service sur ADAGE ; et ce ministère paie le prix que l’acteur culturel a indiqué sur sa plateforme. Bien sûr, la difficulté pour les enseignants et leur chef d’établissement, c’est qu’ils peuvent ne pas trouver sur la liste homologuée par l’Éducation nationale le conférencier, la troupe de théâtre ou l’exposant qu’ils aimeraient inviter. D’autre part, le transport des élèves de l’établissement scolaire au site de l’activité de l’acteur culturel homologué n’est pas pris en charge par l’Éducation nationale ! La facture du déplacement doit être payée sur le budget de l’Établissement scolaire ou faire l’objet d’une demande de subvention à une structure locale. Une complication supplémentaire évidente. Les enseignants seront donc obligés de privilégier les acteurs culturels qui interviennent dans les Établissements ; des acteurs culturels qui dans leur prix facturé à l’Éducation nationale tiendront compte, outre la prestation devant les élèves, des trois éléments suivants : le déplacement, éventuellement l’hébergement et la restauration. N’est-ce pas plus simple pour les établissements scolaires ?

Toucy n°3 coupé          Retenez que, après quelques tâtonnements, La France noire a pris soin d’indiquer de manière claire sur son site Internet – à la rubrique « Qui sommes-nous »les tarifications de ses interventions. Dans notre prochain compte rendu, nous vous parlerons de notre première sortie dans un lycée de Seine-et-Marne sous la formule ADAGE.

Raphaël ADJOBI

JE SUIS UNE ESCLAVE, journal de Clotee, 1859-1860 (Patricia C. Mckissack)

Je suis une esclave          Le titre français de ce roman américain est absolument inapproprié et même discourtois. Dans l’histoire de l’humanité comme dans celle de la littérature, aucun individu ne se définit par sa condition qu’il sait infamante s’il n’a pas la ferme intention d’en faire une arme contre l’adversité. Pourquoi avoir traduit « Picture of freedom, The diary of Clotee, Slave girl » (traduction littérale = image de la liberté, Le journal de Clotee, jeune esclave) par Je suis une esclave ? Est-il si difficile de traduire la soif, le sens ou la saveur de la liberté exprimée par une Noire dans la langue française ? Dans le titre anglais, comme dans le roman, c’est l’image de la liberté – accompagnée de la précision qu’il s’agit du journal d’une jeune esclave – qui est exprimée. Ramener cette image ou ce désir de liberté à la seule proclamation de la condition d’esclave de la narratrice est un raccourci qui semble destiner le roman à la satisfaction d’une catégorie de lecteurs n’imaginant le passé du Noir que dans les fers. Si évoquer la condition de la narratrice est indispensable, il aurait été préférable de titrer le livre en Français par Je ne suis pas une esclave – faisant écho à Je ne suis pas votre nègre de James Badwin. Et pourquoi donc, me diriez-vous ? 

          Le journal de Clotee est en effet un excellent témoignage de la liberté de penser, de la liberté de rêver de connaissances du monde et des hommes. Ce qui fait le charme de ce livre, c’est qu’il associe la liberté à la culture. Il montre, par la volonté d’une fille de douze ans, que c’est par le savoir que l’on accède à la liberté. Tout en servant d’éventeuse (qui fait du vent pour rafraîchir) à son jeune maître lors de ses leçons, Clotee apprend à lire et à découvrir comment former des mots et accéder au monde qui l’environne.

          Cette proximité avec ses maîtres va permettre à la jeune esclave de découvrir la domination factice des Blancs ; une domination factice parce que ne reposant sur aucune maîtrise des savoir-faire demandés aux esclaves. Or, le pouvoir se trouve dans le savoir et le savoir-faire. Clotee le sait. Parlant de sa maîtresse, elle dit : « Cette femme, elle n’est pas capab’ de reconnaître le sel du sucre, elle connaît encore moins comment cuisiner avec. Pourtant, la M’ame, ça lui plaît beaucoup se faire passer pour la reine de la cuisine. Elle peut bien jouer les reines, on est tous plus au courant qu’elle ». Et pourtant, pour montrer que c’est elle qui commande, la maîtresse de maison ne cesse de distribuer des gifles à ses jeunes domestiques pour la moindre erreur ou un service jugé pas assez rapide : « La M’ame, elle est terrible, pasqué elle connaît qu’on peut pas répondre à ses coups. Si l’un de nous osait lui balancer une belle raclée en pleine figure, je parie qu’elle n’aurait pas la main aussi leste. […] M’me Lilly, elle est comme une stupide fille gâtée qui joue à de stupides jeux avec la vie des gens. Une petite fille dans le corps d’une grande dame. Quelle pitié ! » Et quant au maître qui a une haine obsessionnelle à l’encontre des abolitionnistes et soutient que les esclaves aiment leurs maîtres, qu’ils n’ont pas besoin d’entendre parler de liberté parce qu’ils sont comme des enfants, incapables de se prendre en main, Clotee et les autres le laissaient « continuer à bavarder et bavarder, tâchant de se persuader lui-même que les esclaves étaient heureux d’être esclaves ». Tout est dit : Clotee refuse d’être vouée à l’esclavage ou à la servilité !

          Il est clair qu’un tel esprit appliqué à l’analyse des maîtres afin de montrer leur vacuité – comme pour dire « le roi est nu » – ne peut pas être résumé à celui supposé propre à une esclave : la soumission. Et collégiens et lycéens gagneront à lire ce roman, basé sur une histoire vraie, pour découvrir qu’au XIXe siècle une jeune esclave de douze ans savait que les mots ont un sens parce qu’on peut les associer à des images et ainsi rapidement progresser dans l’apprentissage de la lecture et du monde. Cependant, Clotee mettra beaucoup de temps pour voir une image attachée au mot Liberté. Et quand ce sera chose faite, plutôt que de monter dans le train qui y mène, elle choisira d’aider les autres à y accéder pour gagner la Liberté. A la fin de la lecture de l’œuvre, chacun comprend que le sens de la Liberté réside assurément dans les choix que l’on fait durant sa vie.

Raphaël ADJOBI

Titre : Je suis une esclave (traduit de l’anglais par Bee Formentelli)

Auteur : Patricia C. McKissack

Editeur : Gallimard Jeunesse, 2016.