Une page de l’histoire de l’eugénisme en France (une analyse de Pierre Ancery)

Voici la présentation par le journaliste Pierre Ancery du documentaire de 65 minutes de Vincent Gaullier et Jean-Jacques Lonni (produit en 2021. Histoire TV Documentaire) – publiée dans Télérama n° 3749 du 17/11/2021.

En France, on a fait du génocide des Juifs, durant la seconde guerre mondiale, un isolat – un fait exceptionnel venu d’on ne sait quel esprit, sinon qu’il s’est produit en un lieu qui s’appelle l’Allemagne. Et pourtant… il suffit de remonter le fil conducteur de ce cataclysme survenu entre des êtres humains auto-proclamés « blancs » pour lire la vérité – ce que les esprits paresseux, parce que sûrs de détenir la vérité, n’ont jamais fait. Le texte de Pierre Ancery est à mettre en lien avec la pensée européenne et ses pratiques racistes et eugénistes mises en œuvre dans toutes les contrées d’Europe mais que l’on préfère écarter du vécu Français.

Retenez que l’exposition de l’association La France noire « L’invention du racisme et la négation des traces de l’homme noir dans l’histoire de l’humanité » aborde largement ce sujet. En effet, l’eugénisme (théorie de la race blanche pure) fait partie de l’invention du racisme.

L'eugénisme en Alsace image et texte         En 1924, dans la périphérie de Strasbourg, une cité-jardin d’un nouveau genre est inaugurée : les jardins Ungemach, destinés à accueillir dans des maisons individuelles des familles « de souche saine et fécondes ». Sélectionnés à l’aide d’une batterie de tests censés évaluer leur « capital héréditaire », les ménages triés sur le volet qui s’installent à Ungemach ont l’obligation de donner naissance à trois enfants au minimum. Ouvertement eugéniste, le projet imaginé par l’homme d’affaires Alfred Dachert vise à « guider l’évolution humaine vers une ascension rapide », en augmentant le nombre d’éléments jugés sains dans la population française…

          Nourri du témoignages d’anciens enfants ayant grandi dans la cité-jardin et enrichi de très belles animations inspirées de la gravure, ce documentaire étonnant lève le voile sur un pan méconnu de l’histoire de l’eugénisme : son versant français. L’historien Paul-André Rosental le rappelle dans le film : si elle est aujourd’hui assimilée au nazisme, cette idéologie pseudo-scientifique a en réalité prospéré dans toute l’Europe du début du XXe siècle, où elle était intégrée à des politiques de réforme sociale.* Ce fut le cas de Ungemach, où l’effrayante « expérience » imaginée par Dachert reçut l’aval des autorités et fut largement médiatisée. Loin de s’arrêter avec les horreurs de la seconde guerre mondiale, elle courut d’ailleurs jusque dans les années 1980… Un récit passionnant.

Pierre Ancery (2021)

* Pour aller plus loin, je vous conseille vivement Histoire des Blancs (Edit. Max Milo 2019) de l’historienne Nell Irving Painter. Ce volumineux essai montre comment les « Blancs » se sont forgés une histoire supérieure à tout le reste de l’humanité au point d’avoir entrepris de rendre pure leur propre « race », ce qui veut dire la débarrasser des « Blancs » impurs. Oui, il y aurait des « Blancs » moins blancs que d’autres « Blancs » dans l’esprit des penseurs européens, au XIXe et au XXe siècle.

Que signifie « PENSER PAR SOI-MÊME » ? (Une analyse de Luis-N. Pita, vice-président de « La France noire »

Luis-N. Pita          Penser par soi-même, c’est s’affranchir des préjugés, c’est-à-dire, des pensées toutes faites. Une pensée « toute faite » est une idée qui n’a pas été remise en question, qui n’a pas été passée au crible de la réflexion. On l’a en nous et on la profère parce que… parce que quoi au fait ? Parce que c’est un professeur qui nous l’a apprise, parce qu’on l’a lue quelque part, parce que tout simplement elle est venue en nous au fil des années… Le préjugé n’est pas une pensée véritable car c’est quelque chose que l’on a acquis passivement, qui fait partie des influences reçues.

          Penser par soi-même c’est avoir pris du recul par rapport à une idée, c’est savoir au minimum pourquoi on a cette idée en nous, pourquoi on y adhère, ce qu’elle signifie profondément. Penser par soi-même c’est refuser de tout accepter, c’est passer au crible de la réflexion toute idée qui se présente à nous, surtout si on y adhère spontanément !

          Le contraire de la pensée véritable est le préjugé, ou encore l’opinion (idée reçue, idée toute faite, non « réfléchie ») ; on associe l’activité de penser par soi-même à la réflexion critique.

Luis-Nourredine Pita

Le lycée Benjamin Franklin d’Orléans accueille l’exposition « L’invention du racisme »

Orléans Racisme janvier 2022          Après avoir accueilli durant trois années consécutives notre exposition sur « Les Noirs illustres et leur contribution à l’histoire de France », les professeurs documentalistes du lycée Benjamin Franklin ont décidé cette année de proposer à leurs collègues notre exposition sur « L’invention du racisme ». A la fin du mois de novembre, quand nous avons reçu le planning des interventions, le petit mot qui l’accompagnait nous avait vraiment fait plaisir : « En à peine deux heures, il était plein ! La qualité de vos précédentes interventions a marqué les mémoires ».

          Effectivement, le mardi 4 et le jeudi 6 janvier 2022, La France noire a effectué 13 heures d’intervention pour rencontrer environ 300 élèves ! Des heures de rencontres qui ont permis aux jeunes de découvrir que le racisme est à la fois un système de pensée et de comportement dont la mise en place a été bien réfléchie, bien argumentée et bien illustrée. Leur indignation est chaque fois très grande devant la perpétuation, en ce XXIe siècle, des images publicitaires que les adultes ont dû imaginer pour imprimer durant plus d’un siècle et demi dans l’esprit des populations dites « blanches » une image négative de l’homme dit « noir ». « Pourquoi les adultes continuent-ils à faire cela ? », se demandent-ils. Et quand ils découvrent l’eugénisme, cette volonté de constituer en Europe une population de « blancs purs » débarrassés des « blancs impurs », ils restent sans voix !

          Les enseignants quant à eux étaient très heureux de voir les jeunes prendre conscience du fait que le racisme n’est pas une plaisanterie, un jeu passager dans la vie des individus. Tous ont montré leur désir d’exploiter la venue de l’exposition pour établir des échanges supplémentaires avec les jeunes et aussi pour travailler sur le dépliant que nous leur avons laissé – afin que la page ne soit pas rapidement tournée. C’est dire que nous n’avons pas trouvé dans ce lycée des enseignants sûrs de posséder la vérité. Car « quiconque est sûr de posséder la vérité est définitivement enfermé dans cette certitude ; il ne peut donc plus participer aux échanges. […] Or, la vérité ne se possède pas, elle se cherche. Ceux qui prétendent la détenir sont ceux qui ont abandonné la poursuite du chemin vers elle » (Albert Jacquard).

Orléans janvier 2022 V          L’expérience que partage La France noire avec cet établissement est tout à fait magnifique ! Depuis notre premier passage, l’équipe des professeurs documentalistes s’est transformée en vrais animateurs d’un espace culturel. Un « espace exposition » est même aménagé au sein du CDI. Pour eux, il n’est plus seulement question de la gestion de la documentation et du flux de l’occupation d’un lieu ; il est aussi question de l’animer en proposant régulièrement aux enseignants la possibilité de lever le nez des manuels scolaires et de regarder le monde qui nous entoure avec des personnes engagées dans la vie de notre société, dans la vie de nos cités : des conférenciers, des expositions avec ou sans conférencier, des troupes de théâtre…. Cette dernière activité est suspendue, compte tenu de la situation sanitaire.

          Merci aux professeurs documentalistes pour l’accueil – toujours chaleureux – et pour la bonne organisation des deux journées. Merci à tous pour les compliments sur la qualité de notre exposition, sur l’équilibre entre les images et les textes qui la composent.

Raphaël ADJOBI

° Lire l’article de National Geographic (nationalgeographic.fr) : Quand les généticiens ont mis fin au concept de races humaines.