Cher(e)s ami(e)s, Mesdames et messieurs les responsables des organisations associatives, merci d’être parmi nous ce soir pour commémorer ensemble l’abolition de l’esclavage des Noirs dans l’océan indien et dans les Amériques.
En effet – et ce n’est qu’un rappel – c’est en vertu du décret du 31 mars 2006 qu’est célébrée chaque 10 mai (je cite) « la journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition ». C’est donc la 16e fois que cette journée honore les ancêtres des Français noirs (victimes de la traite et de l’esclavage) et cela sans rien enlever à leurs compatriotes blancs. Bien au contraire, cette journée est l’occasion de réfléchir ensemble aux événements qui ont scellé notre destin et nous permettent de dire que nous avons un passé en commun qui conditionne la construction de la république d’aujourd’hui. En d’autres termes, cette journée a pour but de favoriser la prise de conscience du fait que la France s’est construite et se construira toujours avec la vie et l’engagement des femmes, des hommes et des enfants – quelque soit leur origine et leur culture. La France n’a pas été construite par l’esprit de quelque génie pour qu’on nous fasse croire qu’elle est la continuité d’une même population depuis la nuit des temps ! Non, la France n’est pas un mythe ! Elle n’est pas un mythe créé pour justifier une imagerie devant remplacer la réalité qui fait d’elle un pays éclaté sur plusieurs continents et plusieurs océans.
Pour paraphraser la jeune actrice américaine Anne Hathaway, je dirais ceci : si certaines personnes sont vraiment convaincues qu’elles sont placées au centre du mythe selon lequel toutes les races gravitent autour de la blanchité (de la peau blanche), alors ces personnes doivent reconnaître qu’elles causent un un grand dommage aux autres. A La France noire, nous savons très bien – comme cette jeune dame américaine – que ce mythe de l’homme blanc supérieur ou placé au centre du monde, au centre de l’humanité, est bien réel dans l’esprit de beaucoup de personnes. Et parce que ce mythe est ancien, ces personnes y croient. Parce que ce mythe est devenu une habitude, ces personnes pensent que c’est la norme. Parce que ces personnes ont reçu ce mythe en héritage, elles pensent qu’il est immuable, universel et éternel. Les conséquences de cette croyance en ce mythe sont absolument dangereuses parce que ce mythe privilégie un certain type de corps, un certain type de couleur de peau et ne donne pas la même valeur à tout ce qui n’y ressemble pas. Ce mythe, mesdames et messieurs, a été construit dans les esprits avec l’invention du racisme au XIXe siècle ! Et nous devons y prêter une grande attention si nous voulons le combattre.
Avant l’invention du racisme, les populations d’Afrique et d’Europe qui se côtoyaient depuis l’Antiquité savaient que les uns avaient la peau tirant sur le rose et les autres la peau tirant sur le marron ou le noir. Mais les uns et les autres se désignaient par leur origine, leur terre d’appartenance. Jamais par la couleur de leur peau ! Ainsi, pour les Européens, les populations d’Afrique étaient des Égyptiens, des Éthiopiens, des Koushites ou des Nubiens. Et à partir du VIIIe siècle, au moment où les Arabes envahissent la péninsule ibérique avec dans leurs armées des soldats issus su Sahara et du sud de ce désert, un autre nom désignant les Africains est apparu : les Maures ! Oui, Mesdames et messieurs, avant le XIXe siècle, les Européens ne nommaient pas les peuples de la terre par la couleur de leur peau ! Le mot « noir » n’était qu’un adjectif qualificatif ; pas un nom ! Ainsi, jusqu’au XVIIIe siècle, n’importe quel chrétien savait que Saint-Maurice était un africain et donc un homme à la peau marron ou noire. Car on savait à l’époque que le nom Maurice vient du mot Maure, désignant un Africain, un homme à la peau sombre. Aujourd’hui, très peu de gens le savent.
C’est donc depuis le XIXe siècle que, par le caprice et la volonté de nuire à d’autres peuples de la terre, des pseudo-scientifiques ont divisé l’humanité en catégories de couleurs, puis ont attribué à chacune des couleurs des caractères propres, et à partir de là ont établi une hiérarchie entre les humains : des meilleurs à la peau claire et les mauvais à la peau sombre.
Comme tous les mythes, le racisme – cette obligation pour les autres couleurs de peau de se définir par rapport à la couleur dite « blanche » – a été imaginé, inventé pour justifier une réalité : celle de la déportation des Noirs puis leur mise en esclavage sur les terres étrangères des Amériques. C’est donc pour justifier la traite et l’esclavage des Noirs, que certains ne comprenaient pas ou dénonçaient, que l’on a produit ce récit imaginaire appelé racisme.
Oui, Mesdames et Messieurs, le racisme est un mythe, un récit imaginaire qui fonctionne très bien parce qu’il rassure ceux qui ne veulent rien avoir à se reprocher quoi qu’ils fassent ; ceux qui sont toujours soucieux de leur dignité. Et notre exposition « L’invention du racisme et la négation des traces de l’homme noir dans l’histoire de l’humanité » vous montre la naissance de ce mythe, les moyens mis en place en Europe et dans les Amériques pour le propager ainsi que ses conséquences à travers le monde. Notre exposition montre aussi que le mythe du racisme fonctionnait tellement bien en Europe que certains ont eu la bonne idée d’inventer un mythe dans le mythe ; ils estimaient que tous les « Blancs » n’étaient pas de vrais blancs et ont donc établi une échelle de la blancheur parmi les Européens, autorisant ainsi l’élimination des Blancs indésirables pour que demeure la catégorie qu’ils appellent la race blanche pure ! Cela s’appelle l’eugénisme. Cette partie de notre exposition est à découvrir absolument pour bien comprendre la pensée européenne hier et aujourd’hui, et singulièrement le génocide des juifs au milieu du XXe siècle.
Au regard de ce qui vient d’être dit, Si vous lisez quelques textes du XIXe et de la première moitié du XXe siècle, vous serez surpris par ce que les Européens ont pu dire des Africains, des Asiatiques, des populations autochtones des Amériques et même de certaines populations européennes. Ces Européens avaient presque la ferme conviction qu’ils étaient des demi-dieux. Ils avaient le sentiment qu’ils étaient sur terre par la volonté du Dieu créateur pour baptiser tous les autres êtres et dire qui mérite ou ne mérite pas leur considération. Oui, l’homme blanc s’était en quelque sorte attribué le même rôle qu’Adam de la Bible au début de l’humanité lorsque celui-ci était tout seul sur la terre. En effet, selon la Bible, Adam fut chargé de donner un nom aux bêtes et aux oiseaux de la nature que Dieu avait créés. C’était donc lui qui conférait une identité aux bêtes et aux oiseaux. C’est sur ce modèle que l’homme Blanc s’était arrogé le droit de baptiser tous les peuples de la terre, de les caractériser ou les essentialiser et de les hiérarchiser. Mais une autre lecture de la Bible est possible. Les bêtes, les animaux créés par Dieu avaient sans doute déjà tous un nom et Adam, censé les connaître, devait prononcer leur nom à haute voix pour se les remémorer – comme un enfant, un tout petit enfant qui apprend sa leçon dans l’exercice de l’apprentissage d’un langage qu’il devra plus tard transmettre à sa femme Eve puis à sa postérité. Oui, mesdames et messieurs, chaque peuple a conscience de son existence et des récits de son passé. Aucun peuple n’a donc le droit de dire l’histoire de l’autre, et ce qu’il vaut !
Cette exposition montre de manière très simple que lorsqu’on a rangé les humains dans des catégories de couleurs, et surtout lorsqu’on a affecté à chaque couleur un caractère particulier, et qu’enfin on a pris soin de les hiérarchiser du plus mauvais au meilleur, tout devient permis contre les catégories inférieures. Cela établit donc une sorte de violence en cascade : la couleur de peau placée au sommet peut mépriser les trois autres, celle en deuxième position les deux autres, celle en troisième position la dernière ; et quant à la dernière, c’est bien fait pour elle puisqu’il est dit qu’elle est maudite depuis la nuit des temps, que dépourvue de tout génie humain elle n’a jamais rien produit de bon depuis le début de l’humanité.
En clair, Mesdames et Messieurs, le racisme est un mythe inventé par les Européens à une époque précise pour justifier leur pouvoir ; mais ce mythe perdure. Il convient peut-être d’apprendre les mythes des autres peuples afin de relativiser celui des Européens donné en héritage parmi nous depuis deux siècles.
Je vous remercie.
Raphaël ADJOBI