En ce XXIe siècle, on peut se réjouir de voir les femmes de plus en plus nombreuses à contester la place que les hommes blancs leur assignent, depuis plus de deux siècles, dans l’évolution de l’humanité. L’histoire de l’humanité telle qu’elle est enseignée dans nos établissements scolaires et nos universités est essentiellement un récit produit par l’homme blanc. Il est donc évident d’y découvrir celui-ci comme le plus beau, le plus grand, le plus fort, le plus intelligent. Au XIXe siècle, quand il lui a plu d’établir une échelle des êtres humains – en se plaçant bien sûr au sommet de la pyramide – l’homme blanc a pris soin de placer la femme (blanche) un cran plus bas. « Associée au primitif, au sauvage, elle est perçue comme une menace ». Aujourd’hui, presque toutes les femmes sont d’accord avec Simone de Beauvoir pour dire que « toute l’histoire des femmes a été faite par les hommes » et qu’il convient de prendre la parole pour déconstruire les paradigmes à l’origine du déni de leur rôle dans les inventions et innovations qui ont fait progresser l’humanité.
Dans Histoire des Blancs, publié en 2010 (2019 en France par Max Milo), l’Américaine Nell Irving Painter a fait un excellent historique de la pensée européenne de l’Antiquité au XXe siècle. On découvre dans ce livre qu’à travers les époques, toutes les pensées dominantes étaient évidemment menées par les hommes, de surcroît blancs. Et c’est cette histoire de la domination masculine blanche avec ses préjugés sexistes intériorisés par les femmes qu’Olivia Gazalé dénonce et démythifie dans Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes (Robert Laffont, 2017). Plus récemment, c’est la préhistorienne Marylène Patou-Mathis qui s’est dressée contre cette construction masculine blanche de l’histoire de l’humanité où la femme est toujours présentée comme un « être de reproduction » opposé à l’homme considéré comme « un être de culture » (L’homme préhistorique est aussi une femme, Allary Éditions, 2020). Si les analyses de Marylène Patou-Mathis retiennent ici notre attention, c’est parce qu’elles montrent à quel point les conclusions scientifiques sont elles-mêmes empreintes d’idées sexistes et racistes. « Alors qu’aucune preuve tangible ne permettait de différencier les tâches et les statuts selon le sexe, les préhistoriens ont donné une vision binaire des sociétés préhistoriques : des hommes forts et créateurs et des femmes faibles, dépendantes et passives ». Et elle ajoute : « Pourtant, les recherches ont montré que les objets préhistoriques étaient polysémiques et n’étaient pas nécessairement représentatifs du sexe d’un individu ». Cette analyse nous montre comment l’on plaque sur les sociétés anciennes les présupposés ou stéréotypes contemporains les plus négatifs sur la femme ; présupposés et stéréotypes véhiculés par les publications scientifiques ainsi que les œuvres littéraires, artistiques ou philosophiques du XXe siècle.
Au milieu du XIXe siècle, selon Marylène Patou-Mathis, « dès la reconnaissance de l’existence d’humains préhistoriques, leurs comportements sont rapprochés de ceux des grands singes, gorilles et chimpanzés, puis de ceux des races inférieures perçus comme primitifs. Sans avoir fait une analyse précise de leurs usages, les premiers préhistoriens donnent aux objets taillés par les préhistoriques des noms à connotation guerrière : massue, casse-tête, coup-de-poing, poignard… […] Ainsi, dans la plupart des romans, les conflits sont-ils omniprésents, en particulier entre races différentes dont les types sont souvent empruntés aux récits des explorateurs ». En faisant de la violence un élément essentiel de « la nature humaine », l’homme blanc a non seulement fait de la virilité le synonyme de la puissance et de l’intelligence mais il l’a aussi confondu avec la violence sadique (Olivia Gazalé). Et très souvent, qui est au centre des conflits ? La femme ! Selon Marylène Patou-Mathis, les « docufictions » ou documentaires censés être fidèles à la réalité, car s’appuyant sur des données archéologiques, se conforment à la vision de notre société actuelle pour enraciner en nous l’idée que les femmes n’ont joué aucun rôle dans l’évolution technique et culturelle de l’humanité. On dénie à la femme tout génie comme pour être conforme à la pensée de Périclès disant que « la plus grande gloire de la femme est qu’on ne parle pas d’elle » (cité par Olivia Gazalé, p. 114).
Ne nous étonnons donc pas de constater la séparation sexuée des tâches dans les textes consacrés à la préhistoire et dans les romans préhistoriques où le héros est évidemment toujours du sexe masculin et blanc. Les hommes d’aujourd’hui lisent le passé à l’aune de leur schéma social contemporain. La guerre, la chasse, la pêche, la taille des outils et des armes – ces tâches « nobles » – sont forcément à leurs yeux l’œuvre des hommes (blancs). « Il est également inconcevable d’imaginer un artiste de sexe féminin. De même, l’idée que lui ou son modèle puisse être noir n’effleure même pas les esprits jusqu’à la découverte en 1911, par le Dr Jean-Gaston Lalanne, de la Vénus de Laussel ou Vénus à la corne (Laussel, Dordogne). Elle présente, pour l’époque, toutes les caractéristiques physiques d’une Noire, d’une Hottentote même ! » Mais surtout n’allez pas répéter cela ! On vous traitera de révisionniste – parce que tout le monde sait en Europe que, comme la femme, le Noir n’a jamais été capable de rien inventer. Pour tout bon Européen, la préhistoire est blanche, même quand les recherches scientifiques prouvent le contraire. Et on enseigne cela sans vergogne.
Raphaël ADJOBI