Comment devient-on raciste ?

Numérisation_20220216         Ce titre choc renvoyant à un mal évident, mais dont certains nient l’existence parce qu’ils ne se sentent pas concernés ou parce qu’ils veulent l’ignorer, est en réalité une invitation à découvrir les techniques de mise en place d’un certain nombre de discriminations. Oui, si le racisme est la forme la plus aiguë et la plus répandue de la haine de l’autre, il n’est pas superflu de connaître les mécanismes qui installent la séparation des êtres selon des critères arbitraires au gré du temps « au bénéfice de privilégiés même si ces derniers n’en sont pas toujours conscients ».

          Cette bande dessinée se présente comme la quête personnelle du dessinateur Ismaël Méziane désirant guérir de la sourde colère qui le mine face à la discrimination dont il est l’objet. Une « réflexion au service de la libération » qui permet au lecteur de découvrir les analyses historiques et sociologiques de l’anthropologue généticienne Évelyne Heyer et de l’historienne et chercheuse Carole Reynaud-Paligot. Ces trois personnes qui mènent la réflexion sont d’ailleurs les trois personnages principaux de la bande dessinée. Cette mise en scène la rend dynamique et très plaisante. La hiérarchisation des êtres, leur essentialisation et leur catégorisation en « races » ainsi que les conséquences qui en résultent sont bien illustrées et deviennent un récit à la portée d’un large public.

Essentialisation et texte n°2          C’est connu – comme le dit si bien un personnage du livre – « Tout le monde s’en fout du racisme ! » parce que tout le monde croit connaître le sujet. Pour cette raison, nous croyons que cet ouvrage peut être d’abord conseillé aux adultes pour qu’ils vérifient leurs connaissances. Ainsi, quand ils entendront dire que le racisme a toujours existé, ils sauront que cela n’est pas vrai. Il est ensuite conseillé aux lycéens et aux collégiens, à partir de la quatrième, pour les préserver de la haine de l’autre que leur âge adopte par habitude à cause des préjugés du milieu dans lequel ils évoluent. Combien sommes-nous à savoir que le monde est pétri de préjugés datant parfois de deux siècles, quand les peuples européens ont commencé à se construire un passé avantageux, une nationalité, une identité nationale… pour exclure les autres ?

Raphaël ADJOBI

Titre : Comment devient-on raciste ?

Auteurs : Ismaël Méziane – Carole Reynaud-Paligot – Évelyne Heyer

Éditeur : Casterman

Le baiser « esquimau » ou les voyageurs européens et le colportage des préjugés

Le baiser esquimau 1          Dans une brève analyse de ce que veut dire « Penser par soi-même », Luís-Nourredine Pita – vice-président de l’association La France noire – écrivait, dans un billet publié sur notre blog, que « le préjugé […] c’est quelque chose que l’on a acquis passivement, qui fait partie des influences reçues ». Par conséquent, le préjugé est une pensée ou « une idée qui n’a pas été remise en question, qui n’a pas été passée au crible de la réflexion », ajoutait-t-il. Sachons qu’il en est ainsi de nombreuses idées que les voyageurs européens, en rencontrant les peuples lointains, ont colportées à travers toute l’Europe pendant des siècles puis dans la culture mondiale par la colonisation d’autres contrées. Y avez-vous déjà pensé ? Formulons la question autrement : avez-vous déjà pensé que de nombreuses affirmations que nous véhiculons à longueur de journée sont des préjugés, c’est-à-dire des pensées qui ne sont pas vraies, qui « ne sont pas des pensées véritables » ?

          Le préjugé est un jugement auquel on s’accroche, une opinion que l’on adopte sans aucun examen pour savoir si elle correspond à la réalité, à l’objet, à la chose ou à la personne réelle. C’est le préjugé qui a fait des autochtones des Amériques des Indiens ! Cette dénomination ne renvoyait et ne renvoie toujours pas à la réalité. Et comme les préjugés ont naturellement la vie dure, cinq siècles après l’erreur monumentale de Christophe Colomb, l’éducation familiale et l’enseignement public sont incapables de voir les autochtones des Amériques autrement que des Indiens ou Amérindiens (Indiens des Amériques !). Soyons honnêtes : le préjugé ne serait-il pas synonyme de fainéantise de l’esprit, d’incapacité à s’élever plus haut que ce que l’on entend et apprend tous les jours ?

Le baiser esquimau 3          Parlons ici d’un préjugé colporté par les Européens à travers le monde que les populations concernées viennent de faire voler en éclats. Tout le monde a appris que les « Esquimaux », ces « petits êtres des zones polaires », s’embrassent en frottant leur nez l’un contre l’autre. En réalité, les Inuits (faussement appelés Esquimaux) – ces populations de la zone arctique s’étendant de l’Alaska au nord-est de la Russie en passant par le nord du Canada et le Groenland – ne s’entrechoquent pas le nez pour se témoigner leur affection. Le baiser inuit consiste à saisir des deux mains la tête de la personne que l’on veut embrasser et à appliquer de manière plus ou moins appuyée, selon l’intensité du sentiment, le nez et la bouche sur sa joue. Il est permis de laisser entendre un bruit de succion. Entre l’opinion véhiculée par les voyageurs européens et la réalité qu’une jeune chanteuse Inuite et sa mère ont tenu à montrer, le fossé est bien grand ! Voilà ce que vous pensez, voilà ce que nous sommes, semblent-elles crier au monde. Et nous voilà tout à coup bien bêtes ! Mais le préjugé, lui, ne mourra pas.

Le baiser esquimau texte 2          De nombreuses personnes soutiennent des idées sur des peuples étrangers et leur passé tout simplement parce qu’une personne de leur pays ou de leur continent les a affirmées. Si les préjugés ont la vie dure, c’est-à-dire s’ils sont difficiles à éradiquer, c’est parce que l’éducation et surtout l’enseignement les entretiennent allègrement malgré les efforts des scientifiques de ce XXIe siècle. Combien sont-ils ces universitaires qui, au lieu de consulter les peuples eux-mêmes, se fient à l’intelligence des leurs, de ceux qui leur ressemblent, tournant ainsi dans une sphère sereine comme la souris dans sa cage avec la ferme conviction d’être très intelligente. Ce qui fait dire aux auteurs de Lady sapiens (Ed. Les Arènes 2021) que « un travail de déconstruction attend toujours les scientifiques afin de venir à bout des préjugés des universitaires eux-mêmes ». Car c’est par eux que les jeunes apprennent… les préjugés.

Raphaël ADJOBI