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La princesse Meghan Markle et le raciste

Meghan et Harry 3          Dans sa série d’émissions intitulée « La case du siècle », France 5 avait publié en avril 2021 un documentaire montrant une Meghan Markle en princesse différente, indépendante, rebelle. A l’image de Diana, elle était présentée comme une militante qui sait s’identifier à tous les sujets oubliés, en souffrance dans le royaume britannique. Il faut dire qu’enfant, Meghan admirait Diana.

Couple royal 5          Tous les médias assurent aujourd’hui qu’à son époque, Diana avait subi sans broncher les diktats du protocole pendant plusieurs années avant d’affirmer sa différence. Meghan par contre est allée beaucoup plus vite. Mais avec le temps, tout le monde comprend désormais qu’il ne s’agissait pas d’une simple imitation de l’idole de son enfance.

          Enceinte, elle a rejeté la tradition qui veut que chaque grossesse royale devienne une affaire publique. En effet, au terme de sa grossesse, Meghan a délaissé la clinique de prédilection de la couronne pour aller, discrètement, accoucher dans un hôpital méconnu du centre de Londres. Et après la naissance d’Archie, la princesse métisse a ignoré le sacro-saint rituel selon lequel tout nouveau petit prince doit être présenté aux sujets du royaume via les médias dès sa sortie de la maternité.

          On saura beaucoup plus tard que si Harry et Meghan ont refusé de présenter leur fils au public, c’est à cause du tweet posté par Danny Baker, un animateur de la radio BBC, quelques heures après sa naissance ; un tweet réduit à un photomontage représentant un singe entre un couple devant une maison censée être un hôpital avec ce titre : « l’enfant royal quitte l’hôpital ». Au XXIe siècle, un adulte – sans doute lui-même père de famille – est capable d’une telle ignominie pour faire rire ses compatriotes racistes. Pour paraphraser Édouard Louis, dans l’introduction de Retour à Reims de Didier Eribon (Flammarion, collect. Champs essais), c’était là le produit de toute une histoire de négrophobie, de centaines d’années de discours négrophobes qui avaient rendu possible et pensable cette image insultante produite par ce journaliste. Et comme le reconnaît Didier Eribon dans ce livre que tout le monde gagnerait à découvrir, « l’insulte est une citation venue du passé. Elle n’a de sens que parce qu’elle a été répétée par tant d’autres locuteurs auparavant ». On peut donc dire que ce photomontage est absolument, pour paraphraser un vers de Jean Genet, « Une image vertigineuse venue du fond des âges ».

Meghan et Harry contre le raciste          C’était le point d’orgue d’un racisme latent à l’égard du couple dans les médias et sur Internet. Dans le passé, dit le journaliste Max Forster (CNN), la tradition était d’ignorer ce genre de chose. Mais le couple a refusé d’accepter cela. « Ils ont fait bloquer le site sur le net. Ils ont passé du temps à chercher les trolls pour les empêcher de répandre leur haine. » Quinze jours après la naissance, sur l’insistance de la grand-mère Elizabeth II, Harry présente son fils nouveau-né aux voraces objectifs de la presse royale. Bien sûr, certains réactionnaires du royaume étaient impatients de savoir si Archie ressemblait à sa mère ou à son père, c’est-à-dire, s’il était plutôt Noir ou Blanc. En pensant encore une fois au parcours de Didier Eribon, je formule cette question : n’est-ce pas terrible pour Harry et Meghane de savoir que leur fils, un quarteron, « est précédé par une identité stigmatisée » qu’il vient à son tour en ce monde habiter et incarner et avec laquelle il lui faudra se débrouiller d’une manière ou d’aune autre ? On comprend alors pourquoi le service de la présentation officielle de l’enfant fut minimun. La rupture était consommée !

Lady Suzan Hussey et Mme Fulani 2 v          Ce que tout le monde ne savait pas et que va révéler le couple princier plus récemment, c’est qu’avant la venue au monde d’Archie, des membres de la famille royale s’étaient inquiétés de la couleur de peau du futur prince ! Par ailleurs, le prince Harry lui-même a confirmé le fait que les commentaires racistes dans la famille royale sont bien connus. Bien sûr, le privilège des Blancs à l’égard des Noirs est le même que s’octroient les riches, les aristocrates et les bourgeois à l’égard des pauvres ; ils ne voient que ce qu’ils veulent voir, alors que les autres doivent tout voir (Erri de Luca – Le jour avant le bonheur, Ed. Gallimard). Ne dites jamais que ces catégories de personnes n’ont pas conscience d’être des privilégiés ; l’impunité dont ils jouissent en est la preuve suffisante. En novembre 2022, la marraine du prince William – Lady Susan Hussey – a été reconnue par Charles III raciste à l’égard d’une artiste britannique noire invitée à une réception officielle au palais. Aussi, selon le prince Harry, quand les journalistes assurent qu’il y a eu toujours des liens conflictuels entre la famille royale et les journalistes, il faut regarder cela de plus près. « Ce qui arrive à ma femme, à nous – s’indigne-t-il dans un récent entretien – arrive à tellement de gens à cause de la presse britannique, et cela à cause du racisme, à cause du colonialisme, à cause des mensonges ! […] Certaines des choses qui ont été dites sur ma femme ont été condamnées par le palais de Buckingham ; mais elles venaient du palais ! Elles ont été servies aux journalistes sur un plateau ». C’est clair et net ! Dès lors, chacun peut établir un lien étroit entre la crainte d’un prince noir manifestée au palais et le montage insultant de la photo réalisé par le journaliste de la BBC.

Raphaël ADJOBI

Exposition photographique « Décadrage colonial » au Centre Georges Pompidou

Fabien Loris - encre 1932          Jusqu’au 27 février 2023, se tient au Centre Georges Pompidou une exposition photographique – intitulée Décadrage colonial – sur un pan de l’histoire coloniale de la France : celui de la réaction du mouvement surréaliste à l’exposition coloniale de 1931 à Paris.

          Comme l’intervenant de l’association La France noire le dit souvent à ses jeunes interlocuteurs lors de ses interventions dans les collèges et les lycées, on ne peut pas comprendre les images et les arguments esclavagistes, racialistes et colonialistes, si on ne prend pas en compte un fait primordial : celui que tous les Européens n’étaient pas esclavagistes, racialistes et colonialistes ! C’est en effet de la confrontation et du débat contradictoire que nous tenons les plus belles pages des bêtises du genre humain à travers la théorisation de l’humanité en races distinctes, celle de la nécessité d’acheter ou de vendre des humains, et enfin celle du devoir de civiliser l’Autre. C’est donc clairement à partir de la volonté de se justifier face à leurs adversaires qu’esclavagistes, racialistes et colonialistes ont modifié la pensée européenne et mondiale sur l’Autre.

Les Français de couleurs          Ce que l’on apprend essentiellement dans cette exposition du Centre Pompidou, c’est la dénonciation par le mouvement surréaliste de la politique impérialiste de la France par l’organisation d’une contre exposition intitulée « La vérité sur les colonies ». Combien de Français, combien de professeurs d’histoire le savaient-ils ? Et pourtant, « En 1931, lors de l’exposition coloniale de Vincennes, les surréalistes diffusent des tracts et dénoncent les répressions à l’égard des populations colonisées. Plusieurs numéros du Surréalisme au service de la révolution exposent leur vision radicalement critique de l’entreprise coloniale dans sa dimension tant économique qu’intellectuelle et culturelle » (le catalogue de l’exposition).

          Décadrage colonial montre donc un chapitre du combat du mouvement surréaliste et de son iconographie subversive (photographies, productions graphiques et photomontages militants) contre l’impérialisme français, tout en soulignant les rapports équivoques des photographies des premiers ethnologues – jusque là tenus sous le joug du puritanisme chrétien européen – qui font preuve d’un voyeurisme débridé sous le vocable d’« images exotiques ».

Tract mai 1931Raphaël ADJOBI

Le collège Saint-Grégoire du groupe ECBG (45) accueille « La France noire » pour la troisième fois

LFN 3 membres - bleu          Le collège Saint-Grégoire – qui fait partie de l’Enseignement Catholique Beauce Gâtinais (ECBG) – a accueilli notre exposition Les résistances africaines à la traite et les luttes des esclaves pour leur liberté dans les Amériques pour la deuxième fois le vendredi 20 janvier 2023. Notre première visite dans cet établissement avec cette exposition date de 2018. En 2019, avant les deux années de la COVID, ce collège avait permis à tous ses élèves (de la 6e à la 3e) de découvrir notre exposition L’invention du racisme et la négation des traces de l’homme noir dans l’histoire de l’humanité. Cette dernière visite avait donc un air de retrouvailles pour bon nombre de professeurs comme pour les invités.

Pithiviers coupé 2          Avouons-le tout de suite : si l’initiative de cette nouvelle invitation a cette fois été prise par notre collègue Pierre-Louis Boggio, professeur d’histoire, nous retrouvions-là notre amie et membre de La France noire Inès Kihindou – Liss pour les intimes, les blogueurs et les milieux littéraires. Durant toute la journée, nous avons été pris en charge par notre collègue documentaliste qui a également organisé l’accueil des élèves pour les séances d’intervention du conférencier. Merci à elle pour le bel accueil et le bon moment passé ensemble.

Pithiviers coupé          Ce fut une journée très agréable avec des élèves intéressés donc attentifs aux explications de l’intervenant qui leur apportait des compléments de connaissances à leur cours sur l’esclavage. Aller au-delà des manuels scolaires en élargissant les connaissances des jeunes grâce à notre exposition était en effet la volonté du professeur d’histoire qui l’avait beaucoup appréciée en 2018. C’est donc avec fierté que ce collègue a suivi les réactions de ses élèves par rapport aux images des panneaux qui ne peuvent laisser indifférents. Ce plaisir était partagé par les enseignants qui découvraient pour la première fois cette exposition qu’ils jugent absolument nécessaire à l’instruction de la jeunesse.

St-Grégoire 2023          Pari gagné donc pour notre amie Liss Kihindou qui, en 2018 et 2019, a eu l’idée d’inviter La France noire dans son établissement pour faire découvrir à ses collègues d’autres supports de transmission des savoirs. Désormais, l’équipe pédagogique du groupe ECBG sait qu’elle trouvera auprès de La France noire les outils pédagogiques qui accompagneront utilement et agréablement ses pratiques éducatives.

Raphaël ADJOBI

Le lycée Benjamin Franklin (Orléans) accueille pour la deuxième fois notre exposition sur l’invention du racisme

Orléans Benjamin Franklin          Le succès rencontré, en janvier 2022, au lycée Benjamin Franklin par notre exposition « L’invention du racisme et la négation des traces de l’homme noir dans l’Histoire de l’humanité » est indéniable ! La preuve, au moment de nous accueillir en janvier 2023, ces mots des professeurs documentalistes – les animateurs culturels de l’établissement chargés de proposer des actions complémentaires aux enseignements des professeurs : « Nous avons diffusé l’information de votre prochaine venue en fin de semaine, et cette fois encore, en quelques heures, vous étiez, comme on dit, prêts à jouer àguichet fermé” ! »

          C’est donc avec plaisir que nous avons retrouvé dans cet établissement scolaire des visages désormais familiers pour partager la belle complicité des passeurs de savoirs autour de notre exposition sur l’invention du racisme. Le jeudi 12 et le vendredi 13 janvier, neuf classes ont bénéficié de la rencontre avec le conférencier de notre association pour un temps de présentation puis de découverte de l’exposition, et enfin un temps d’échange. Curieux et attentifs, les élèves ont chaque fois exprimé leur étonnement et leur indignation devant les images illustrant les arguments qui ont servi à établir une échelle de valeurs entre les humains à partir des différences de couleur de leur peau. Les applaudissements qui ont clôturé chacune des rencontres peuvent être considérés comme la marque de la parfaite adhésion des élèves aux explications du conférencier. Un détail très plaisant : chaque fois, certains élèves ont tenu à venir le remercier. Quant aux enseignants, ils n’ont pas manqué de montrer leur satisfaction et parfois même leur enthousiasme devant la prestation vivante du conférencier.

Orléans 2023 élèves          C’est la cinquième année consécutive que le lycée Benjamin Franklin invite notre association. Et c’est la deuxième fois qu’il accueille L’invention du racisme et la négation des traces de l’homme noir dans l’Histoire de l’humanité, après avoir reçu durant trois années Les Noirs illustres et leur contribution à l’Histoire de France. Nous avons été très heureux d’apprendre des professeurs documentalistes que nos travaux et nos conférences ont modifié les pratiques pédagogiques des enseignants qui ont intégré nos thématiques à leurs cours. Aussi, ceux-ci aimeraient disposer de nos expositions plus longtemps ; ils aimeraient surtout une organisation différente de l’accueil des expositions afin d’y travailler avec les élèves avant la venue du conférencier.

          Que dire de plus sinon que nous avons là la preuve de la reconnaissance par nos collègues de l’utilité de nos expositions dans l’instruction des jeunes générations !

          Pour terminer, signalons un résultat réjouissant du dispositif Pass culture permettant à l’Éducation nationale de prendre en charge les interventions des acteurs culturels qu’elle a homologués : cette année, les professeurs documentalistes du lycée Benjamin Franklin envisagent d’offrir – aux frais de l’État – une deuxième exposition de La France noire aux enseignants et à leurs élèves. Les sections professionnelles et technologiques ayant l’esclavage à leurs programmes pourraient bientôt accueillir notre exposition Les résistances africaines à la traite et les luttes des esclaves pour leur liberté dans les Amériques. C’est donc le deuxième lycée qui va accueillir, en cette année 2023, deux expositions de La France noire.

Raphaël ADJOBI

Les malheurs des filles de Thomas Jefferson (3e président des E.U)

Thomas Jefferson          Dans son édition de mars 1971, la revue Connaissance des arts avait publié un article sur la belle maison du troisième président des États-Unis, Thomas Jefferson, construite à Monticello, en Virginie, à 120 km de Washington. Une lectrice saisit alors l’occasion et envoya à la revue l’extrait suivant de «La République américaine» du R.P. Bruckberger (Paris 1958, p. 84-86) et permit ainsi au public de découvrir, dans le numéro suivant, une image singulière de la vie de cet homme d’État – même s’il s’agit en réalité de celle de ses descendantes.

          « Avec un sens extraordinaire des lois de la tragédie, la vie se charge parfois de donner une conclusion exemplaire à une destinée exemplaire. On sait ce qu’il advint de Saint-Just. Il monta lui-même sur l’échafaud où il avait d’abord envoyé Danton : la République de Sparte rejoignait dans le panier à son la République de Cocagne.

          Quant à Jefferson, l’épilogue tragique digne du Shakespeare le plus terrifiant, ne devait survenir qu’après sa mort. Je cite ici sans changer ou omettre un seul mot, un homme dont l’information, l’autorité et la conscience sont irrécusables. Il s’agit d’Alexandre Ross, canadien de nationalité et qui occupa des charges importantes dans son pays, et fut en plus l’ami personnel et homme de confiance d’Abraham Lincoln. Il écrit dans ses mémoires :Thomas Jefferson, l’auteur de la Déclaration d’indépendance, par une clause de son testament conféra la liberté à ses enfants naturels nés esclaves. Il le fit dans la mesure où le code d’esclavage de Virginie le lui permettait, suppléant au pouvoir qui lui manquait par une humble requête à la législature de Virginie de confirmer ses dispositions testamentaires et de donner à ces esclaves la permission de demeurer dans l’État où ils avaient leur parenté. Deux de ses filles, qu’il avait eues d’une de ses esclaves octavonnes, furent, après la mort de Jefferson, emmenées de Virginie à la Nouvelle-Orléans où elles furent vendues au marché d’esclaves pour 1500 dollars chacune et utilisées à des fins qu’on ne peut décemment rapporter. Ces deux malheureux enfants de l’auteur de la Déclaration d’indépendance étaient très blanches, leurs yeux étaient bleus et leurs chevelures longues et soyeuses étaient blondes. Toutes deux avaient une grande instruction et une parfaite éducation. La plus jeune des deux sœurs, s’enfuit de chez son maître et se suicida par noyade pour échapper aux horreurs de sa condition. Ce n’est pas sans une immense tristesse qu’on rencontre un tel fait dans l’histoire d’une nation…. Jefferson avait raison. On n’en a jamais fini de conquérir la liberté. La République selon son cœur serait une révolution permanente ».

 Deux remarques s’imposent :

1 – Afin de bien comprendre la volonté de l’auteur de souligner l’ampleur du racisme dans le coeur de certains Blancs, il est nécessaire de s’arrêter au sens du mot « Octavon ». Voici la définition des dictionnaires (ici le Larousse) : Personne issue de parents dont l’un est quarteron et l’autre un Blanc. Notez bien la distinction « quarteron » et « Blanc ». Qu’est-ce qu’un « Quarteron » ? Réponse : « Fils ou fille d’un Blanc et d’une mulâtresse (métisse) ou d’une Blanche et d’un mulâtre (métis) » (Le Robert). Dire qu’un métis n’est pas un Blanc, tout le monde comprend. Mais en distinguant « quarteron » et « Blanc », comme le font les dictionnaires, on arrive à la conclusion que le célèbre écrivain Alexandre Dumas et mes petits-enfants qui sont quarterons (un de leurs parents est métis) ne sont pas des Blancs.

En clair, un « octavon » (un des parents est quarteron) est une personne à la peau blanche née de deux parents à la peau blanche – comme les enfants de l’écrivain Alexandre Dumas ; mais on garde en mémoire que l’un des grand-parents est métis. En d’autres termes, vous êtes blanc de peau parce que vos deux parents sont blancs de peau, mais vous n’êtes pas Blanc parce que vous êtes un « octavon ». Selon les dictionnaires, si vous vous mariez, on dira que vous êtes marié avec une Blanche ; vous aurez alors compris par cette simple mention que vous n’êtes pas un Blanc, malgré votre peau blanche. A l’époque de Thomas Jefferson, vos enfants pouvaient être vendus ; car vous êtes un « esclave octavon ». Les petits-enfants du célèbre écrivain Alexandre Dumas pouvaient être vendus comme les filles de Thomas Jefferson ! Tous les Noirs français qui ont des arrière-petits-enfants octavons ne peuvent que trembler en lisant ce texte. Qu’ils retiennent avec Thomas Jefferson que la République doit être une révolution permanente pour que le racisme ne les rattrape pas.

Cheveux blonds 12 – Il est toujours plaisant d’entendre ou de lire les Blancs qui, tout en soulignant la blancheur de la peau de certaines personnes, y associent avec un grand soin les yeux bleus ainsi la chevelure blonde comme les marques suprêmes de la blanchité ou de la « race » blanche. C’est exactement ce préjugé qu’exprime l’auteur du texte en écrivant « Ces deux malheureux enfants […] étaient très blanches, leurs yeux étaient bleus et leurs chevelures longues et soyeuses étaient blondes ». Et pourtant, une chevelure blonde et des yeux bleues n’ont jamais été des marques exclusives et donc distinctives des Européens blancs !

Yeux bleus 4

Trois femmes aux yeux bleusRaphaël ADJOBI

Les voeux 2023 de LA FRANCE NOIRE à ses abonnés et à ses lecteurs

Voeux 2023 revueCher(e)s abonné(e)s, chères lectrices, chers lecteurs,

          Les membres du conseil d’administration de l’association La France noire se joignent à son président pour vous souhaiter une Bonne Année 2023. Qu’elle soit pour vous faite d’agréables moments avec celles et ceux que vous aimez et qui vous entourent de leur affection.

          Merci aux abonné(e)s pour leur engagement à nous suivre afin de partager chacun des instants de la vie de notre association ainsi que nos réflexions autour de la place des Noirs dans l’histoire de France, autour de notre idéal de faire de nos différences une force pour notre pays. Merci à tous les visiteurs de notre blog, venant souvent des contrées lointaines comme les États-Unis, le Canada, la Chine, mais aussi des pays voisins comme la Belgique et la Suisse.

          Vous avez sans doute deviné, au travers de nos derniers articles de 2022, que notre association a désormais la grande joie de figurer au nombre des acteurs culturels homologués par l’Éducation nationale dans le cadre de son dispositif Pass culture. Une reconnaissance nationale qui fait de ce ministère l’employeur de La France noire, et de notre association un partenaire vivement conseillé dans l’éducation culturelle des jeunes au sein des établissements scolaires. En d’autres termes, quand ceux-ci nous invitent – parce qu’intéressés par l’une ou l’autre de nos trois expositions pédagogiques – c’est l’Éducation nationale qui paie la facture.

          Nous pensons sincèrement que tout cela a été possible parce qu’il y a des gens comme vous manifestant de l’intérêt pour la culture, des gens comme vous désireux de voir la jeunesse accéder à des regards pluriels de notre histoire, de l’histoire de l’humanité. Merci donc pour votre fidélité qui est un soutien à notre combat pour la prise en compte de nos différences dans les récits destinés aux jeunes générations.

          Bonne Année en notre compagnie !

Raphaël ADJOBI

Le lycée Clément ADER (77) accueille « La France noire »

Clément Ader déc. 2022          Le lundi 12 et le vendredi 16 décembre 2022, l’association La France noire est intervenue au lycée Clément Ader (Seine-et-Marne) pour 9 heures de conférence (= 9 classes) avec son exposition Les Noirs illustres et leur contribution à l’histoire de France.

          Dans ce bel établissement à l’allure d’un campus universitaire où les activités artistiques (fanfare, orchestre, atelier cinématographique…) rivalisent les unes avec les autres, nous avons été accueillis par un professeur de philosophie passionné de l’histoire des Noirs de France. Connaisseur de l’art des esclaves fugitifs de Guyane et de l’histoire des procès ayant opposé esclaves africains et colons dans les Amériques, Thibault Noël-Artault a illuminé notre séjour au lycée Clément Ader à Tournan-en-Brie. Mille fois merci cher collègue… et désormais ami.

Clément Ader lolli          Tous les professeurs qui ont inscrit leur classe à cette rencontre ont été admiratifs de notre exposition et de la prestation du conférencier. La France noire est d’ailleurs invitée à revenir dans ce lycée en mars prochain avec son exposition Les résistances africaines à la traite et les luttes des esclaves pour leur liberté dans les Amériques. Mais la belle surprise viendra le vendredi 16 (jour de la désinstallation de l’exposition) : nous devions commencer notre première prestation à 9h 30. Retenez bien : une collègue avait pris le risque de nous attendre au CDI à 9h dans l’espoir que nous serions là pour faire profiter ses élèves de quelques minutes de présentation de l’exposition. Et ce fut le cas : nous sommes arrivés à 9h. Certes, le temps était trop court pour procéder à un échange de questions-réponses ; mais les élèves sont repartis après des applaudissements à l’adresse du conférencier. Bravo à cette collègue ! Et à La France noire d’être arrivée une demi-heure avant l’heure prévue. 

Leçons du passage de La France noire au lycée Clément Ader

          Notre passage au lycée Clément Ader a été très fructueux dans la connaissance du fonctionnement du dispositif Pass culture destiné aux acteurs culturels ainsi que de la plateforme ADAGE destinée aux établissements scolaires ; deux logiciels communiquant entre eux. Là-bas, nous avons eu la confirmation que les établissements ont autant de difficultés que les acteurs culturels à maîtriser les outils électroniques qui leur sont dédiés. Aussi, il est à parier que très peu d’établissements scolaires sont parvenus à consulter, via ADAGE ou directement sur la plateforme Pass culture, les offres des conférenciers et exposants. Tous les enseignants peuvent-ils visualiser depuis chez eux ou en compagnie du ou de la délégué(e) culture de l’établissement* les offres des acteurs et professionnels de la culture ? En effet, avoir une idée des offres disponibles permet de les envisager comme supports ou accompagnements des cours ou des projets à mener avec les élèves.

Clément Ader B coupé          Il est à noter que même les plus petits collèges ne comptant qu’une centaine d’élèves – en réunissant les 4e à les 3e – disposent de 2500 à dépenser durant l’année. Largement suffisant pour mener à bien deux ou trois projets avec un acteur culturel (exemple La France noire) ou un professionnel de la culture (exemple un artiste, ou un contrat de film avec une salle de cinéma) ! Les lycées comptant autour de mille élèves disposent d’environ 22 000 à 28 000 euros, et ceux comptant autour de deux mille élèves atteignent les 40 000 euros ! Aucun de ces établissements ne pourra dépenser ces sommes colossales en une année en invitant des intervenants, en organisant des ateliers et en réalisant des sorties pédagogiques. Surtout quand on sait que les frais de déplacement des élèves ne sont pas pris en charge par le Pass culture. Trop d’argent disponible inutilisé pourrait encourager l’État à dire que les enseignants n’en font rien et qu’il convient de ne pas poursuivre l’expérience. Ce serait dommage, parce que beaucoup d’enseignants sont très contents du dispositif.

          On peut tout de même se réjouir du choix fait par l’Éducation nationale de ne pas transférer ces sommes aux établissements scolaires mais de les tenir à leur disposition et les encourager à consommer la culture proposée par les acteurs et les professionnels qu’elle a homologués. C’est la seule façon pour l’État de savoir si les enseignants montrent réellement de l’intérêt pour la culture et surtout ce que les établissements font de l’argent qui lui est dédié. En effet, les collèges et les lycées ne peuvent inviter ou ne fréquenter que les structures culturelles choisies par le ministère de l’Éducation nationale. D’autre part, l’État a compris que la culture a un prix et a mis les fonds nécessaires en place pour que les artistes, les auteurs, les exposants…. soient bien rémunérés. Respecter le savoir commence par le respect du porteur du savoir.

* Tous les collèges et lycées de France doivent avoir depuis 2001 un(e) délégué(e) culture dans le cadre du dispositif Pass culture. Celle-ci ou celui-ci doit informer ses collègues des offres des acteurs culturels pouvant intervenir dans les établissements et celles des professionnels de la culture. La ou le délégué(e) procède à la pré-réservation de l’offre (en accord avec le professeur demandeur) et le chef d’établissement à sa validation finale.

Raphaël ADJOBI

Cinquième intervention consécutive de « La France noire » devant les collégiens et les lycéens de Pierre Larousse à Toucy (89)

Toucy n° 1 coupé          Notre cinquième intervention consécutive devant les collégiens et les lycéens de Pierre Larousse à Toucy (89 – Yonne) a eu lieu du lundi 5 au vendredi 9 décembre 2022. Quatre classes de quatrième et quatre du lycée (177 élèves) se sont présentées durant ces deux journées pour écouter le conférencier de La France noire et échanger avec lui autour de l’exposition Les résistances africaines à la traite et les luttes des esclaves pour leur liberté dans les Amériques. Il convient de retenir que, pour la troisième fois, les lycéens ont participé à cette rencontre à la demande de leurs professeurs.

          Pour notre association, c’est la dernière intervention sous la forme d’un contrat direct avec un établissement scolaire. En effet, au début du mois de novembre 2022, La France noire a accédé au grade de partenaire culturel de l’Éducation nationale grâce à l’homologation de ses trois expositions pédagogiques itinérantes par une commission de ce ministère dans le cadre de son dispositif « Pass culture ». Cette promotion permet à notre association de pratiquer enfin les tarifications officielles préconisées par la Société des Gens de lettres ainsi que par la Charte des auteurs et artistes ; elle lui permet surtout d’être rémunérée par l’Éducation nationale et non par les établissements scolaires. Plus de devis, plus de facture à leur soumettre. Notre employeur, c’est l’Éducation nationale !

Toucy n° 2 coupé          Le collège de Toucy a bien compris le profit qu’il peut tirer du dispositif « Pass culture ». Quand le prix fixé par l’intervenant est assez élevé pour l’établissement, il fallait procéder à une demande de subvention, et espérer durant des mois qu’elle soit accordée. Ce procédé fastidieux et angoissant qui retarde la mise en place des projets est désormais terminé ! Maintenant, il suffit à un établissement scolaire de prendre contact avec un acteur culturel homologué par l’Éducation nationale afin de lui demander une offre de son service sur ADAGE ; et ce ministère paie le prix que l’acteur culturel a indiqué sur sa plateforme. Bien sûr, la difficulté pour les enseignants et leur chef d’établissement, c’est qu’ils peuvent ne pas trouver sur la liste homologuée par l’Éducation nationale le conférencier, la troupe de théâtre ou l’exposant qu’ils aimeraient inviter. D’autre part, le transport des élèves de l’établissement scolaire au site de l’activité de l’acteur culturel homologué n’est pas pris en charge par l’Éducation nationale ! La facture du déplacement doit être payée sur le budget de l’Établissement scolaire ou faire l’objet d’une demande de subvention à une structure locale. Une complication supplémentaire évidente. Les enseignants seront donc obligés de privilégier les acteurs culturels qui interviennent dans les Établissements ; des acteurs culturels qui dans leur prix facturé à l’Éducation nationale tiendront compte, outre la prestation devant les élèves, des trois éléments suivants : le déplacement, éventuellement l’hébergement et la restauration. N’est-ce pas plus simple pour les établissements scolaires ?

Toucy n°3 coupé          Retenez que, après quelques tâtonnements, La France noire a pris soin d’indiquer de manière claire sur son site Internet – à la rubrique « Qui sommes-nous »les tarifications de ses interventions. Dans notre prochain compte rendu, nous vous parlerons de notre première sortie dans un lycée de Seine-et-Marne sous la formule ADAGE.

Raphaël ADJOBI

JE SUIS UNE ESCLAVE, journal de Clotee, 1859-1860 (Patricia C. Mckissack)

Je suis une esclave          Le titre français de ce roman américain est absolument inapproprié et même discourtois. Dans l’histoire de l’humanité comme dans celle de la littérature, aucun individu ne se définit par sa condition qu’il sait infamante s’il n’a pas la ferme intention d’en faire une arme contre l’adversité. Pourquoi avoir traduit « Picture of freedom, The diary of Clotee, Slave girl » (traduction littérale = image de la liberté, Le journal de Clotee, jeune esclave) par Je suis une esclave ? Est-il si difficile de traduire la soif, le sens ou la saveur de la liberté exprimée par une Noire dans la langue française ? Dans le titre anglais, comme dans le roman, c’est l’image de la liberté – accompagnée de la précision qu’il s’agit du journal d’une jeune esclave – qui est exprimée. Ramener cette image ou ce désir de liberté à la seule proclamation de la condition d’esclave de la narratrice est un raccourci qui semble destiner le roman à la satisfaction d’une catégorie de lecteurs n’imaginant le passé du Noir que dans les fers. Si évoquer la condition de la narratrice est indispensable, il aurait été préférable de titrer le livre en Français par Je ne suis pas une esclave – faisant écho à Je ne suis pas votre nègre de James Badwin. Et pourquoi donc, me diriez-vous ? 

          Le journal de Clotee est en effet un excellent témoignage de la liberté de penser, de la liberté de rêver de connaissances du monde et des hommes. Ce qui fait le charme de ce livre, c’est qu’il associe la liberté à la culture. Il montre, par la volonté d’une fille de douze ans, que c’est par le savoir que l’on accède à la liberté. Tout en servant d’éventeuse (qui fait du vent pour rafraîchir) à son jeune maître lors de ses leçons, Clotee apprend à lire et à découvrir comment former des mots et accéder au monde qui l’environne.

          Cette proximité avec ses maîtres va permettre à la jeune esclave de découvrir la domination factice des Blancs ; une domination factice parce que ne reposant sur aucune maîtrise des savoir-faire demandés aux esclaves. Or, le pouvoir se trouve dans le savoir et le savoir-faire. Clotee le sait. Parlant de sa maîtresse, elle dit : « Cette femme, elle n’est pas capab’ de reconnaître le sel du sucre, elle connaît encore moins comment cuisiner avec. Pourtant, la M’ame, ça lui plaît beaucoup se faire passer pour la reine de la cuisine. Elle peut bien jouer les reines, on est tous plus au courant qu’elle ». Et pourtant, pour montrer que c’est elle qui commande, la maîtresse de maison ne cesse de distribuer des gifles à ses jeunes domestiques pour la moindre erreur ou un service jugé pas assez rapide : « La M’ame, elle est terrible, pasqué elle connaît qu’on peut pas répondre à ses coups. Si l’un de nous osait lui balancer une belle raclée en pleine figure, je parie qu’elle n’aurait pas la main aussi leste. […] M’me Lilly, elle est comme une stupide fille gâtée qui joue à de stupides jeux avec la vie des gens. Une petite fille dans le corps d’une grande dame. Quelle pitié ! » Et quant au maître qui a une haine obsessionnelle à l’encontre des abolitionnistes et soutient que les esclaves aiment leurs maîtres, qu’ils n’ont pas besoin d’entendre parler de liberté parce qu’ils sont comme des enfants, incapables de se prendre en main, Clotee et les autres le laissaient « continuer à bavarder et bavarder, tâchant de se persuader lui-même que les esclaves étaient heureux d’être esclaves ». Tout est dit : Clotee refuse d’être vouée à l’esclavage ou à la servilité !

          Il est clair qu’un tel esprit appliqué à l’analyse des maîtres afin de montrer leur vacuité – comme pour dire « le roi est nu » – ne peut pas être résumé à celui supposé propre à une esclave : la soumission. Et collégiens et lycéens gagneront à lire ce roman, basé sur une histoire vraie, pour découvrir qu’au XIXe siècle une jeune esclave de douze ans savait que les mots ont un sens parce qu’on peut les associer à des images et ainsi rapidement progresser dans l’apprentissage de la lecture et du monde. Cependant, Clotee mettra beaucoup de temps pour voir une image attachée au mot Liberté. Et quand ce sera chose faite, plutôt que de monter dans le train qui y mène, elle choisira d’aider les autres à y accéder pour gagner la Liberté. A la fin de la lecture de l’œuvre, chacun comprend que le sens de la Liberté réside assurément dans les choix que l’on fait durant sa vie.

Raphaël ADJOBI

Titre : Je suis une esclave (traduit de l’anglais par Bee Formentelli)

Auteur : Patricia C. McKissack

Editeur : Gallimard Jeunesse, 2016.

Exposition : NOUS ET LES AUTRES, des préjugés au racisme (Muséum de Bordeaux)

Expo. Racisme Bordeaux          Des membres de l’association La France noire se sont rendus à Bordeaux le 25 novembre pour visiter l’exposition NOUS ET LES AUTRES, des préjugés au racisme. Initialement programmée du 11 mai 2022 au 5 février 2023, l’exposition se poursuivra jusqu’au 19 février au Muséum de Bordeaux ; signe d’un réel succès. D’ailleurs, le catalogue qui l’accompagne est épuisé !

          En effet, sur place, c’est un réel plaisir de voir un public nombreux et curieux des origines européennes de l’invention des races et leur hiérarchisation. Même si les préjugés et la tendance à essentialiser* l’autre semblent vieux comme le monde, la racialisation des populations de la terre, vulgarisée par des expositions coloniales, est une œuvre européenne qui semble marquer durablement l’humanité tout entière. Oui, tout le monde semble aujourd’hui convenir avec le sociologue et historien Gérard Noiriel (Introduction à la socio-histoire, La Découverte, 2006) que nous vivons dans un monde où le passé pèse sur le présent. Et tout laisse croire – au regard des discours politiques et médiatiques – que les effets de cette racialisation, qui a justifié l’esclavage et la colonisation, se ressentiront sûrement durant plusieurs siècles après nous, si les jeunes générations ne s’en préservent pas. Ouvrir les pages sombres de cette entreprise de grande envergure afin de bien comprendre ce que veut dire être raciste est donc l’objectif que le Musée de l’Homme (à Paris) propose aux visiteurs à travers cette belle exposition au Muséum de Bordeaux.

          Bravo aux deux commissaires scientifiques de l’exposition : Évelyne Heyer (professeure en anthropologie génétique au Muséum national d’histoire naturelle) et Carole Reynaud-Paligot (professeure d’histoire à l’université Paris-I et à la Maison des Sciences de l’Homme-Paris Nord – que La France noire a accueillie pour deux conférences à Joigny en mai 2022). Après Paris en 2017-2018 et Bordeaux en 2022-2023, il faut espérer qu’une autre grande ville de France recevra cette magnifique exposition dans l’intérêt de tous les citoyens.

          Pour l’heure, nous recommandons vivement aux enseignants proches de la capitale girondine de se donner la peine d’aller découvrir « NOUS ET LES AUTRES » afin d’avoir les outils nécessaires pour parler aisément du racisme à leurs élèves. Ils verront alors la nécessité de leur faire découvrir un jour l’exposition pédagogique itinérante de La France noire sur « L’invention du racisme et la négation des traces de l’homme noire dans l’histoire de l’humanité » ; un outil de vulgarisation des recherches sur les origines du racisme et l’ampleur de ses dégâts au XIXe et au XXe siècles.

*Essentialiser : réduire l’identité d’un individu à des particularités morales, des aptitudes intellectuelles ou des caractères psychologiques supposés immuables et transmis de génération en génération au sein d’un groupe humain.

Raphaël ADJOBI