« UNE AUTRE HISTOIRE DU MONDE » à découvrir au MUCEM à Marseille

Le Mucem à Marseille          La veille de son intervention pédagogique au lycée Adam de Craponne à Salon-de-Provence le jeudi 23 novembre 2023, La France noire a fait un déplacement culturel à Marseille, au Mucem (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) où se tient l’exposition « Une autre histoire du monde » jusqu’au 11 mars 2024. Renversant, est le qualificatif qui convient à ce travail très instructif et unique en France réalisé par Pierre Singaravélou, Fabrice Argounès et Camille Faucourt.

          Les trois commissaires de l’exposition s’accordent pour dire que « L’Europe s’est longtemps pensée elle-même comme une exception, seule capable d’explorer le reste de la planète, [et par conséquent] d’édicter des normes universelles et de mettre en récit l’histoire du monde ». L’Europe, ou encore le monde occidental (c’est-à-dire le continent européen et les terres étrangères occupées par les Blancs en Amérique, en Afrique, en Australie, en nouvelle Zélande), a indéniablement « imposé à partir du milieu du XIXe siècle ses propres découpages historiques » – qui n’ont rien à voir avec ce que pense le reste des populations du monde ; une périodisation du temps structurant le progrès historique de l’humanité en Antiquité, Moyen Âge, Renaissance, époque moderne et contemporaine, ou en des catégories moins larges comme période de « grandes découvertes », de « modernité », de « révolution industrielle »… Une manière de concevoir le monde qui « interdit de penser les dynamiques non occidentales » et traduit parfaitement « l’appropriation symbolique du monde par les Européens ». En d’autres termes, les Européens se sont déclarés et imposés les Maîtres du temps et de l’espace de l’Histoire de l’humanité !   Le Mucem PlanisphèreLe Mucem Planisphère texte          Cette magnifique exposition demande donc au visiteur, nous dirions même qu’elle lui intime l’ordre de « s’affranchir de nos routines intellectuelles au risque d’être d’abord totalement désorienté », parce qu’il faut revoir notre carte du monde, notre planisphère habituel, ainsi que l’ordre chronologique des événements structurant notre calendrier grégorien que nous avons su imposer au reste du monde. Il appartient donc au visiteur d’« abandonner l’étalon occidental pour retrouver le foisonnement des mondes qui précèdent et survivent parfois à l’unification contemporaine » auquel nous assistons et que nous nommons « mondialisation » ou « globalisation » sous la houlette de l’occident. En effet, nous apprenons que « Non seulement les Européens ne possèdent pas le monopole des explorations, mais leurs expéditions ne peuvent presque jamais se passer des guides autochtones et de leur connaissance profonde du territoire, terrestre comme maritime » ; et cela parce que le monde des grands navigateurs a été pendant très longtemps les océans Indien et Pacifique où les populations d’Afrique, de l’Inde, de Chine, du Japon, des îles Fidji, des Amériques n’ont jamais cessé de se rencontrer et de dresser des cartes des mondes qu’ils découvraient, et cela avant les Européens. Oui, la connaissance du monde maritime « atteste de l’existence de phénomènes de décloisonnements et de circulations à longues distances bien avant les premiers contacts avec l’Occident ».

          Pour se convaincre du caractère très récent des longs voyages maritimes et terrestres dont se vantent les Européens, il suffit à chacun de contempler un planisphère tout en ayant à l’esprit la date de la rencontre des Européens avec les autochtones des Amériques (1492). Si on occulte un instant le continent américain, tout laisse deviner que l’Europe a été pendant des millénaires esseulée, structurant son imaginaire autour de la Méditerranée (l’Iliade et l’Odyssée). Pas plus loin ! Il a même fallu le concours des Arabes, entrés en Afrique au VIIe siècle de notre ère, pour qu’elle étende, à partir du XIVe siècle (l’Atlas catalan), ses connaissances aux peuples de la zone au sud de l’océan de sable qu’est le Sahara. Nous retenons donc avec les commissaires de l’exposition que les grands explorateurs européens sont en réalité les derniers acteurs d’un phénomène mondial de déplacements sur les océans pratiqués depuis des millénaires.

Le Mucem statue de la reine Victoria         Un autre aspect de cette exposition qu’il est plaisant de découvrir, ce sont les récits réalisés par les « autochtones » lors des rencontres avec ceux qui disent les avoir découverts. Pas mal du tout ! Ainsi, du XIIIe au XIXe siècle, pendant que les Européens clamaient qu’ils avaient découvert des peuples étrangers, ceux-ci faisaient aussi le récit de ces rencontres. Chaque première rencontre est donc une découverte de part et d’autre ! Ce qui permet à Monsieur Pierre-Olivier Costa, directeur du Mucem, de prodiguer à chacun ce conseil : « Il faut entendre le monde nous dire que nous ne sommes pas les seuls, qu’aucune histoire n’a besoin de triompher sur une autre pour s’écrire et que, dans ce qu’on nous a peu dit, il y a parfois un essentiel à s’approprier ».

Raphaël ADJOBI

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