La vague de colère suscitée par la mise à mort théâtrale de George Floyd aux Etats-Unis a laissé des traces sur le passé esclavagiste et colonial des pays occidentaux. De nombreuses statues honorant des figures qui se sont illustrées durant ces deux époques de l’histoire ont été descendues de leur piédestal. Depuis, ici et là, chacun s’interroge. «Faut-il déboulonner le passé ?» se demande Valérie Lehoux dans Télérama dans son édition du 20 au 26 juin 2020.
Avant de répondre à cette question, la journaliste commence par reconnaître que «l’actuelle remise en cause des statues […] est le signe d’une souffrance accumulée depuis des siècles, que le récit historique n’a jamais vraiment reconnue et réparée.» Il est plus que temps de l’entendre, assure-t-elle. Cette appréciation de l’histoire est juste mais nous semble trop restrictive au regard de la diversité des manifestants antiracistes. En effet, les Blancs qui s’en prennent aux statues n’ont pas accumulé en eux les souffrances de leurs aïeux ; par leurs actes, ils disent clairement qu’ils ne partagent pas leurs idées racistes et ne veulent pas continuer à les honorer. Cette voix-là aussi mérite d’être entendue. Ne tombons pas dans le piège de certains gouvernants qui cherchent à diviser pour régner en brandissant l’argument «communautariste». Non, il n’y a pas que les Noirs et les autochtones des Amériques qui sont antiracistes.
Et quand Valérie Lehoux écrit «est-ce en déboulonnant de vieilles figures de pierre ou de bronze que la donne changera ?» on sent dans sa question qu’elle tient – comme bien d’autres – à ces «vieilles figures de pierre ou de bronze». D’ailleurs, elle dit presque aussitôt : «Bordeaux, qui fonda son essor sur la traite des esclaves, a choisi d’apposer dans ses rues qui portent le nom de négriers des plaques racontant l’histoire et rendant hommage à ses victimes. Installer aujourd’hui de pareils panneaux mémoriels au pied des statues contestées aurait le mérite d’assumer le passé. Plutôt que de tenter de l’effacer».
Avant d’écrire ces dernières lignes qui expriment une idée pleine de sagesse, Valérie Lehoux aurait dû se renseigner avant de jeter des fleurs à la mairie de Bordeaux. Celle-ci n’a jamais été capable d’assumer son passé négrier sans honorer les négriers. La statue de «L’esclave libérée» qui trône devant la Bourse maritime en est la preuve : elle visait à honorer le geste d’un négrier bordelais ! Rappelons à Valérie Lehoux que les plaques explicatives qui complètent six noms de rue de la ville sont le fruit d’une lutte de plus de vingt années menée par l’association Mémoires et Partages. Il faut, Madame, rendre à César ce qui est à César ! Oui, c’est à cette association que revient le mérite.
Par ailleurs, si cette journaliste s’était montrée plus attentive à l’actualité locale, elle aurait constaté que – comme le dit si bien George Orwell – très souvent des honnêtes gens deviennent malhonnêtes quand ils ont quelque pouvoir. Elle aurait appris que les autorités de la ville ont pris soin d’écrire les textes explicatifs en petits caractères et les ont placés suffisamment haut pour qu’ils soient illisibles !
La leçon que l’on peut tirer de cette supercherie des autorités locales est simple : il leur est difficile d’assumer un passé qui n’est plus en accord avec les pensées d’aujourd’hui. Une plaque explicative est un miroir que l’on dresse devant soi-même pour ne pas demeurer dans l’ignorance. Qui aimerait voir exposée sur la place publique la vie de l’aïeul qui ne l’honore pas ? Reconnaissons donc que ces figures que nous ne pouvons plus assumer sont généralement rangées dans les musées pour l’instruction des jeunes générations. C’est d’ailleurs la décision prise par les autorités de certains pays qui ont compris que les temps ont changé.
Raphaël ADJOBI