DISCOURS DU PRESIDENT DE « LA FRANCE NOIRE » – Commémoration de l’abolition de l’esclavage mai 2023

DiscoursMadame et Monsieur les Conseillers départementaux : Mme Frédérique Colas / M. Philippe Burier

Monsieur le maire honoraire de la ville de Joigny : M. Bernard Moraine,

« La France noire » se réjouit de votre fidélité à cette cérémonie nationale qui est l’une des rares occasions d’évoquer un pan de notre histoire commune ayant contribué à forger la diversité nationale.

Monsieur le maire,

merci d’avoir rappelé aux responsables des établissements scolaires de Joigny la date anniversaire de la loi dite Loi Christiane Taubira reconnaissant la traite et l’esclavage des Noirs comme crime contre l’humanité. Après avoir évoqué dans cette adresse notre exposition qui sera visible du 13 au 19 mai dans le hall d’honneur de la mairie, vous avez tenu à leur préciser votre sentiment personnel en ces termes : « Je souhaite que les jeunes générations se rappellent ces pages sombres de notre histoire. Et vous avez ajouté – Dans la suite de cette manifestation, je serai très heureux si vos élèves pouvaient visiter cette exposition ».

Monsieur le maire,

Ce rappel de ce qui EST (ou doit être) fait plaisir d’autant plus que nos gouvernants et les responsables de nos institutions ont tendance, quand l’indifférence ou le mépris s’installe, à oublier de rappeler à tous les citoyens la direction que la République a choisi de suivre. La commémoration de l’abolition de l’esclavage décidée par la République ne doit pas être considérée comme une anecdote vouée à l’indifférence puis à l’oubli. Les événements que rappelle la manifestation d’aujourd’hui ont participé à la formation de la France ; et leurs héritages sont encore vivants. Les héritages de ces événements ne se lisent pas seulement dans la géographie actuelle de la France éclatée sur plusieurs continents et plusieurs océans ; ils se lisent aussi dans les monuments des villes comme Bordeaux, Nantes, la Rochelle, Bayonne, le Havre, Saint-Malo, Paris, Orléans, Marseille. Et aujourd’hui, dans plusieurs de ces villes sont organisés des circuits dits négriers pour découvrir la richesse de la France générée par l’esclavage des Africains. Et c’est une très belle leçon donnée à ceux qui ont voulu tourner la page de cette histoire sans la lire. A ceux-là, nous disons qu’ils n’ont pas le droit d’empêcher la jeunesse de connaître ce passé de la France !

ChoraleMesdames et Messieurs les conseillers municipaux,

Mesdames et Messieurs les présidents et représentants des mouvements associatifs, chers amis,

Si j’ai tenu à relever ce rappel de Monsieur le maire aux représentants locaux de l’Éducation nationale, c’est parce que cet appel à se souvenir est un devoir républicain qui est allègrement négligé. Si la première circulaire relative à la commémoration de l’abolition de l’esclavage signée par le Premier Ministre en avril 2008 reste imprécise quant aux structures chargées de l’organisation des manifestations locales, depuis 2021, cette circulaire du Premier ministre ou de la Première Ministre aux préfets et aux recteurs d’académie leur demande d’inviter les maires et les chefs établissements scolaires à consacrer une journée à la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Donc tous les ans, depuis 2021, cette circulaire dit explicitement ceci : « Le mois de mai est devenu le Mois des Mémoires de l’esclavage et de ses héritages. C’est en effet durant cette période qu’interviennent les deux journées nationales aujourd’hui fixées par le calendrier républicain – le 10 mai, la journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions […] et le 23 mai, la journée nationale en hommage aux victimes de l’esclavage » ; journée qui se décline en des dates différentes dans les îles françaises des Amériques et de l’océan Indien. Plus loin, la circulaire s’adresse aux préfets en ces termes : « Vous diffuserez la présente circulaire à l’ensemble des maires de votre département, en les invitant à organiser une cérémonie similaire, ou tout autre initiative, notamment culturelle, en rapport avec la mémoire de l’esclavage et l’histoire des relations entre la France, l’Afrique, l’Amérique, les Caraïbes et l’océan Indien […], soit le 10 mai, soit le 23 mai, soit à une autre date à choisir par la municipalité, à l’intérieur des limites du Mois des mémoires (c’est-à-dire entre le 27 avril et le 10 juin) ».

La recommandation est claire et le calendrier très large pour permettre à chaque municipalité, à chaque établissement scolaire, de se souvenir par la marque qui lui convient. Dans l’Yonne, il serait bon de savoir quelle autre municipalité que la ville de Joigny consacre du temps à cette mémoire commune. Toujours dans l’Yonne, quels sont les établissements – mis à part trois ou quatre – qui se montrent soucieux de la transmission de cet héritage aux jeunes générations ? Or les jeunes sont les héritiers de notre histoire. Retenons tous qu’un héritage, qu’on le veuille ou non, on doit savoir qu’il existe et connaître sa teneur. C’est une obligation ! Quand vous avez pris connaissance de l’existence d’un héritage, vous pouvez décider de l’exploiter, de le développer dans votre intérêt ou en mémoire du disparu qui représente votre histoire ; vous pouvez aussi choisir de ne pas en profiter (La langue, un héritage – par l’écrivaine Liss Kihindou). Mais personne n’a le droit de refuser d’avoir connaissance de l’héritage laissé par ses aïeux ! Ce qui veut dire que nul n’a le droit de priver les jeunes générations de leur héritage historique touchant l’esclavage des Noirs et la colonisation de l’Afrique ! Il faut obligatoirement qu’ils en aient connaissance ! Ce qu’ils en feront plus tard est leur affaire !

Voilà pourquoi cette exposition de La France Noire est régulièrement reçue pendant l’année scolaire par certains collèges et lycées pour contribuer à l’instruction des jeunes. Elle est depuis novembre 2022 homologuée – comme nos deux autres expositions – par l’Éducation nationale dans le cadre de son dispositif Pass culture et donc conseillée à tous les collèges et lycées de France. Elle participe non seulement à l’instruction des jeunes mais elle est aussi un outil de commémoration de l’abolition de l’esclavage dans les établissements scolaires. c’est ainsi que cette année La France noire a été invitée par le lycée du Dauphiné à Romans-sur-Isère dans la Drôme pour une manifestation commémorative magnifique qui témoigne d’une réelle volonté d’ancrer l’esclavage des Africains dans notre récit national afin que n’importe quel Noir ne soit pas vu comme un immigré, un étranger. Oui, il y a heureusement en France des établissements scolaires qui commémorent tous les ans l’abolition de l’esclavage par des manifestations de leur choix et sont prêts à accueillir notre exposition.

Cette exposition qui vous est proposée est construite en trois parties :

° L’organisation de la traite à partir des comptoirs ou forts gérés par les émissaires des royaumes européens et les résistances africaines à ces forces militaires possédant des armes à feu que les Africains ignoraient.

° Les résistances des captifs africains pendant la traversée vers les Amériques.

° Les différences formes de résistance des esclaves africains dans les Amériques.

Mais pour bien comprendre cette exposition, il faut se poser les bonnes questions.

A – Qu’est-ce que l’esclavage ? En d’autres termes, qu’est-ce qu’un esclave ?

L’esclavage, c’est l’exploitation de la force physique de l’autre pour son profit personnel. Vous faites de quelqu’un un esclave quand vous le faites travailler mais qu’ensuite vous vous appropriez le fruit de son travail. L’esclavage est donc une histoire universelle. Partout dans le monde – hier comme aujourd’hui – des hommes ont subi l’exploitation par d’autres. Les Africains ne sont pas les seuls peuples de la terre dont la force physique a été exploitée par d’autres. Voilà pourquoi notre exposition ne présente pas des esclaves africains au travail.

En remontant à l’origine du mot « esclave » les choses deviennent encore plus claires.

B – L’origine du mot esclave” :

° Le mot esclave est un terme européen dérivé d’un mot désignant les populations d’Europe centrale : LES SLAVES (Ukraine, Biolorussie, sud la Russie actuelle, Pologne la Tchéquie, la Slovaquie). ° Que s’est-il passé avec les Slaves ? Au Moyen âge, le commerce maritime se développe autour de la Méditerranée avec la multiplication des galères qui sont d’immenses navires à rames. Entre le VIIIe et le XVIIIe siècle, les Européens vont enlever des populations slaves pour les faire travailler sur les galères. Bien sûr, d’autres populations européennes seront aussi condamnées aux galères sur la Méditerranée, mais les Slaves seront les plus nombreux.

Avec le temps et on assiste à la déformation du nom « slave » qui devient « esclavus » en latin et « esclave » en français. « esclavus » va donc remplacer le mot « SERVUS » qui – depuis l’antiquité – veut dire serviteur et qui a donné en français le « serf ». En résumé : « esclave » va remplacer « serviteur ou serf », et le mot « esclavage » va remplacer le mot « servitude ».

Les Africains ne sont pas des Slaves mais vont hériter de la déformation du mot. D’ailleurs en Anglais le mot « slave » n’a pas été déformé : on parle bien de « slaves » en anglais.

Mais alors, me direz-vous, si les africains n’ont pas été les seuls êtres humains dont la force physique a été exploitée pour enrichir d’autres, pourquoi parle-t-on constamment de leur mise en esclavage ? La réponse est claire est simple : Cet esclavage a provoqué la plus grande déportation humaine dans l’histoire de l’humanité. D’autre part, elle a complètement modifié la pensée européenne puis celle du reste du monde : le racisme qui s’est infiltré dans l’histoire de l’humanité vient de là !

Cela nous conduits à parler de ce qui caractérise cet esclavage et donc de l’exposition qui vous est présentée aujourd’hui.

C – ce qui caractérise cette exposition

ce qui caractéristique cette exposition, c’est la violence. Cela veut dire tout simplement que face à la volonté prédatrice des Européens, les Africains ont développé une résistance permanente. Et ce sont les Européens eux-mêmes qui montrent ces résistances à travers les images présentées ici.

Au regard des multiples rébellions qui se sont produites à bord des navires négriers, L’historien américain Marcus Rediker remarque que « chaque navire contenait en son sein un processus de dépouillement culturel venant d’en haut, et un contre-processus de création culturelle venant d’en bas » ; c’est-à-dire qu’à la violence exercée sur leur corps par les Européens pour les soumettre, les Africains s’ingéniaient à trouver les moyens de leur résister : par les révoltes, les suicides, le refus de s’alimenter. Et sur le continent américain, ils vont inventer d’autres moyens de résistance comme le marronnage – c’est-à-dire la fuite – les avortements et les infanticides pour les femmes.

          A ceux qui font passer leur inculture pour du savoir et qui croient que la République s’est levée un beau matin et s’est dit « Tiens, on va abolir l’esclavage aujourd’hui », disons ceci :

          La révolution de Saint-Domingue dirigée par Toussaint Louverture ayant abouti en 1793 à l’abolition de l’esclavage sur l’île n’est que le point d’orgue de la résistance africaine à la traite et à l’esclavage des Noirs partout dans les colonies européennes des Amériques.

          Oui, c’est sous la pression initiée par les esclaves africains dirigés par Toussaint Louverture et ses amis que le commissaire Sonthonax proclame leur libération à la fin du mois d’août 1793. Sonthonax enverra ensuite trois émissaires à Paris expliquer devant la convention la nécessité d’abolir l’esclavage dans toutes les colonies françaises. Ce sera chose faite le 5 février 1794.

          Toussaint Louverture est donc incontestablement une figure illustre qui émerge du monde politique européen avec la Révolution française. Ce héros de la Révolution deviendra général en chef des armées françaises de Saint-Domingue le 1er septembre 1797, puis gouverneur général de l’île. Enlevé par l’armée de Napoléon au moment où celui-ci avait décidé le rétablissement de l’esclavage, Toussaint Louverture mourra le 7 avril 1803 au fort de Joux, près de Pontarlier, sept mois après son incarcération.

          En 2023, placer le 175e anniversaire de l’abolition de l’esclavage sous le signe d’un hommage à Toussaint Louverture n’est donc que justice. C’est reconnaître officiellement que l’abolition de l’esclavage en France est d’abord le fait de la lutte des opprimés pour recouvrer leur liberté. Une lutte permanente qui ne permettait pas la poursuite des méthodes anciennes. Après sa mort, ses amis Dessalines, Christophe et Pétion triompheront de l’armée de Napoléon à Vertières en novembre 1803 et proclameront aussitôt l’indépendance de l’île ; indépendance qui sera officialisée le 1er janvier 1804 et redonnera à l’île son nom ancien : Haïti.

          Voilà donc, Mesdames et Messieurs, chers amis, la réalité de l’histoire de la traite et de l’esclavage des Africains faite d’une part de l’insoumission des Africains et d’autre part de l’inventivité des Européens en matière de supplices pour briser à la fois leur corps et leur esprit. Et c’est ce que vous pouvez découvrir dans cette exposition. Après Toussaint Louverture, d’autres figures françaises reprendront le flambeau de la lutte jusqu’à la deuxième abolition de l’esclavage en France en 1848. Retenons donc tous que seule la lutte paie.

          Je vous remercie.

Raphaël ADJOBI

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